- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 14 min
De l’Italie à la France le photographe Graziano Villa sculpte la réalité
Graziano Villa, un artiste photographe italien qui sculpte l’architecture et la rend réelle à travers ses photos. De l’Italie à la France, il immortalise ses clichés en les rendant vivants. Photographe reconnu à l’échelle internationale, Graziano Villa crée des passerelles et ôte les frontières par l’art, essence même pour garder le lien.
Nous continuons nos chroniques italiennes mensuelles, avec, aujourd’hui, le portrait de Graziano Villa, un des plus importants artistes photographes actuels. Il a travaillé pour des magazines tels que AD-Architectural Digest, Capital, Friendly, Where, Class, Voyageur, Fortune, Vanity Fair, et ses œuvres traversent les frontières. Amoureux de la France, il y a consacré des livres de collection dignes de figurer dans des musées. Au summum de sa carrière, dans son exposition au caractère universel, « La grandeur de Paris », en hommage à la tragédie du Bataclan, la beauté des monuments de la capitale est exacerbée dans un élan d’humanité. Avec l’Art, les artistes gomment les frontières de la plus belle des façons. La Culture est un lien. Elle ne sépare pas. Ceux qui la font resplendir nous apprennent à en aimer les différences pour nous unir dans une même fraternité. Graziano Villa est de ceux-là.
Graziano Villa, photographe
Un Génois à Rimini
Né à Gênes en 1951, c’est un charmant ‘jeune homme’ de presque 70 printemps que je rencontre à Rimini, où il habite avec l’amour de sa vie, la merveilleuse Francesca Fabbri Fellini, grande journaliste, écrivaine, nièce de l’immense réalisateur Federico Fellini et ambassadrice, à travers le monde, de l’image et de l’œuvre de son oncle.
Grand, souriant, les yeux pétillants de vie et de générosité, je rencontre un homme curieux des autres, ouvert sur le monde qu’il a parcouru de part en part.
Danielle Dufour-Verna – Projecteur TV : Quand avez-vous commencé la photo ?
Graziano Villa : J’ai commencé la photo à l’âge de sept, huit ans et j’ai retrouvé les premières photos que j’ai faites dans ma vie. A 18 ans, j’ai commencé à photographier de manière plus professionnelle. À 20 ans, je suis parti pour Milan où j’ai commencé à travailler dans un studio photo et je me suis établi à mon compte à l’âge de 26 ans. J’ai ouvert dans un tout petit appartement un minuscule studio photographique et j’ai d’abord collaboré avec de grandes agences publicitaires. Mes premiers clients prestigieux : De Beers pour l’agence J.W. Thompson, qui est une des plus grandes agences mondiales, et avec la même agence pour le client Kodak. Puis, pour la fameuse agence Y&R ‘Young & Rubicam’, sur le client Rank Xerox. Mes clients ont été immédiatement très importants. À cette époque, les écoles de photographie n’existaient pas en Italie. J’ai donc acheté les livres de photographes célèbres pour étudier. Ma particularité est d’avoir travaillé dans les secteurs les plus importants. J’ai commencé avec le ‘still-life’, la nature morte, photos d’objets qui se faisaient avec ‘la machine banc optique’ qui est le véritable appareil photographique, à soufflets. Je travaillais donc avec une toile noire sur la tête, à la façon des anciens professionnels. A dire la vérité, j’ai commencé comme photographe de mode, avec de magnifiques mannequins. Je dois dire que le cinéaste Antonioni, après 1966, a donné l’envie à tous les professionnels qui ont vu son film ‘Blow up’. C’est mon mentor. Nous avons tous vu la scène culte où le protagoniste David Hemmings, Jane Birkin et Gillian Hills roulent ensemble dans un jeu que je vous laisse imaginer.
Une carrière vertigineuse
J’ai continué ma carrière avec les portraits de grands personnages au niveau international. C’est à ce moment-là que j’ai été reconnu professionnellement. J’ai continué par la suite avec les reportages. Pour devenir un véritable photographe, il fallait, à cette époque, passer par toutes ces étapes.
DDV – Projecteur TV : Et maintenant ?
Graziano Villa : C’est sans-doute mon origine ligure qui m’a poussé à voir ma profession comme un voyage, une recherche. Une recherche connue, celle de la connaissance ! C’est avec mon appareil photographique, mon ‘passe-partout’, qui m’a ouvert la cabine de commande d’un fantastique vaisseau qui m’a fait ‘naviguer’ dans les divers secteurs de mon activité professionnelle, accostant sur diverses côtes de notre Monde pour le connaître davantage, du Pôle Nord au Désert du Maroc, de l’Inde à la Malaisie etc. Pour continuer à paraphraser le jargon marin, je peux dire que j’ai commencé ma profession en navigant dans la mer orageuse du reportage, pour traverser ensuite la turbulence snob de la mode. Après quoi j’ai trouvé le rafraichissement et le repos dans les eaux calmes du still-life, pour arriver à la réflexion du portrait. Ma formule existentielle est un juste mélange de tout cela, et donc, une expérience de vie merveilleuse. Avec le reportage, j’ai voyagé à travers la savane africaine, la jungle Sud-Américaine et les immenses espaces de l’Amérique du Nord. Dans la mode, j’ai connu des femmes splendides, dans le still life, j’ai découvert des objets merveilleux, des antiquités précieuses, des ameublements incroyables et des personnes extrêmement cultivées qui travaillent dans ce contexte. La mer que je traverse en ce moment est celle, dynamique, de la ‘Fotographie Artistique’.
Après avoir réalisé de nombreux portraits de personnages importants, dans les secteurs économiques, politiques et culturels, ou ceux de simples artisans, je peux déclarer mon grand enthousiasme.
Francesca Fabbri Fellini, nièce de l’immense réalisateur italien, Son port d’attache.
J’ai eu la chance de rencontrer une femme merveilleuse, Francesca Fabbri Fellini. Nous sommes tombés amoureux immédiatement. Francesca m’a apporté la sérénité et en même temps la possibilité de réfléchir sur ce que je voulais faire exactement. Je me suis arrêté. J’ai pris, comme on dit, une année sabbatique. J’ai commencé à réfléchir sur les grandes architectures que l’homme a semées pendant des millénaires, depuis les pyramides d’Égypte jusqu’à la tour Eiffel.
Depuis les Pyramides d’Egypte jusqu’à la Tour Eiffel, des Portraits d’Architecture
‘’ L'exposition est un hommage photographique pour nous rappeler la Grandeur de Paris, Terre de Liberté qui, comme San Marino, a donné asile à nombreux exilés.” (texte de l’exposition ‘Grandeur de Parigi’)
‘’La relation inséparable et fructueuse entre la Ville Lumière et de la photographie est historiquement connue. Berceau invention photographique, Paris a cultivé depuis plus d'un siècle et demi, l'imagerie visuelle de citoyens du monde entier, s'offrant comme toile de fond parfaite pour les premiers essais de visionner des photos. Ses structures architecturales ont été, depuis le début de la photographie, un sujet idéal pour leur beauté majestueuse……Graziano Villa propose une vision nouvelle, inattendue et très personnelle, capable de subjectivité incontestée et l'abstraction d'une forte tension. Une vue graphique, modulaire, complexe ensemble, rêveur et déstabilisante. Ainsi est la grandeur de Paris.’’
Lorenza Bravetta Camera Centro Italiano per la Fotografia
Au-travers de mes Portraits d’Architecture, je fouille graphiquement dans les structures des grands monuments réalisés par l’homme, pour trouver leur ‘lignes essentielles’, celles que, probablement, leurs créateurs avaient à l’esprit. Dans ce nouveau secteur de la Photographie Artistique, j’ai recueilli le consensus de la critique, professionnelle et existentielle. Mais cela est aussi dû à une merveilleuse rencontre. En 2017, après avoir fait une photo de la Tour Eiffel, je l’expose à Rimini lors de la foire internationale ‘Art in Rimini’ qui regroupait cinquante à soixante galeries d’Art. Giuseppe Maria Morganti, Ministre de la Culture de la République de Saint-Marin, contemplait ma photo depuis près d’un quart d’heure. Avec lui, nous avons décidé, en hommage aux victimes du Bataclan, d’appeler ma prochaine exposition ‘La Grandeur di Parigi’. ‘Liberté, Egalité, Fraternité’ c’est vraiment le symbole de nos valeurs communes. L’exposition s’est faite dans un palais médiéval de Saint-Marin. Un Parisien, Bertrand Marret, Professeur d’Art, Collaborateur du Directeur des Musées du Vatican, accompagné de son épouse Piera Benedetti, tous deux très sympathiques et habitant Rimini, admire mes œuvres exposées et me dit textuellement avec admiration « Je n’ai jamais vu un Paris aussi beau, jamais de cette façon-là », puis il ajoute : « De la même manière que Francesca est la nièce du grand Fellini, je suis le fils de la sœur, donc le neveu, de Henri Cartier Bresson, immense photographe. »
Bertrand Marret et son épouse se sont rencontrés à Paris où elle a fait ses études et a étudié anthropologie avec Claude Levi-Strauss, mon auteur préféré. La boucle était bouclée. J’en ai la chair de poule à le raconter.
En ce moment, pour répondre au désir de mon fils, j’écris également un livre pour raconter toutes les aventures qui ont traversé ma vie. A la lecture des trente premières pages, il s’est exclamé : « Papa, ces pages sont si belles que ce livre deviendra la bible de ma vie et si tu ne le finis pas, je m’énerve. »
DDV – Projecteur TV : on peut donc parier que la prochaine étape créative sera celle d’écrivain ?
Graziano Villa : Oui, on peut parier. Mais ceci grâce à ma Francesca, ma *Fellinette qui m’a apporté la sérénité, l’amour total, le bonheur. Quand je pense au temps passé ensemble, 11 ans, cela peut paraitre peu. Mais non ! Nous sommes ensemble la journée durant. Donc 11 multiplié par 2 et même 3, alors que les couples normaux ne se voient que le matin et le soir.
DDV – Projecteur TV :Pouvez-vous me parler des différentes formes d’impression que vous utilisez ?
Graziano Villa : J’utilise le Fine Art Paper et je les imprime avec mon plotter qui est une imprimante gigantesque. J’en imprime certaines avec un fournisseur qui me suit régulièrement, sur feuilles d’aluminium anodisé. D DV – Projecteur TV : Quel genre de musique écoutez-vous et quel genre de littérature vous intéresse ?
Graziano Villa : Quand je travaille, seulement de la musique classique. Francesca et moi adorons le cinéma français comme ‘Alceste à Bicyclette’ avec Fabrice Lucchini qui est formidable. En littérature, je lis en ce moment un livre ’ Le singe nu’ d’un auteur que j’ai eu le plaisir de photographier, Desmond Morris. C’est un auteur qui a changé ma perspective sur le point de vue humain. Il est merveilleux. Il a analysé les humains du point de vue de l’éthologie. Je lis également un livre sur Orson Wells par une journaliste française, et « Tristes tropiques » de Claude Lévi-Strauss et encore d’autres choses…
D DV – Projecteur TV : Vos projets ?
Graziano Villa : Je prépare deux expositions. La première à Rimini. Elle s’appelle « Solstice d’Eté ». Photoshop pour moi est une palette de couleurs. Par exemple pour ce costume de carnaval à Venise que j’ai travaillé. Une deuxième très belle exposition aura lieu en mars 2021. Elle devait avoir lieu en mars 2020 mais a été reportée à cause du Covid. Dédiée à un grand artiste, Lindsay Kemp, elle s’appelle ‘I’m a Dancer’. C’est la mise en photos de deux grandes performances théâtrales : la ‘Salomé’ d’Oscar Wilde et ‘Flowers’ tiré du livre de Jean Genet, ‘Notre-Dame-des-Fleurs’.
Esprit de champagne
D DV – Projecteur TV : Que représente la France pour vous ?
Graziano Villa : - La France a été très importante. J’ai travaillé avec un Parisien, Daniel Rey, journaliste et écrivain, avec lequel j’ai passé des années splendides. C’est lui qui a fait les textes du livre ‘Esprit de Champagne’. J’ai fait avec lui des dizaines de reportages, dans le Bordelais, dans le Gers. Nous sommes allées sur les traces de Gauguin, de Van Gogh. Pour moi, la France est une contribution fondamentale à mon travail. La France a été pour moi une immense reconnaissance professionnelle. Un moment où Jean-Luc Barbier, alors Président du Comité Champagne, a trouvé mon livre ‘Formidable’ alors qu’il n’était pas du tout convaincu au départ au vu du nombre de livres sur le sujet. En fait ce livre est différent car il est dédié à l’intérieur des maisons et à l’art de vivre à la Française.
D DV – Projecteur TV : Votre définition du bonheur ?
Graziano Villa : Etre avec son partenaire, vivre ensemble ta profession et la sienne, travailler ensemble, être en symbiose. Dans notre manière à Francesca et à moi, il y a un continuel échange de suggestions, de critiques. C’est cela vivre heureux. Avoir un partenaire car vivre seul, je ne pense pas que ce soit une condition du bonheur. On est seul car on n’arrive pas à trouver son partenaire.
En conclusion, je dirai que pour moi, la photographie est un merveilleux ‘Passe-partout’ qui m’a ouvert les portes sur un monde merveilleux, bien qu’il n’ait pas été beau quelquefois lors des reportages de guerre. Mais en général ce passe-partout m’a apporté tant et tant d’humanité.
D DV – Projecteur TV : S’il vous fallait traduire la France en un mot ?
Graziano Villa : CULTURA
A tel point que la zia (tante) Giulietta Masina (épouse de Federico Fellini) a dit : « Si vous voulez faire la Fondation Fellini, faites-la en France. »
En guise de conclusion, ce très beau texte de Francesca Fabbri Fellini :
" Architecture et photographie, ensemble pour créer une oeuvre unique de l'Art"
Pour Fellini le film était l'image et la lumière, il était le facteur de base..
Mon oncle Federico a soutenu :
"... La lumière est l'idéologie, la couleur, le ton, la profondeur, l'atmosphère, l'histoire. La lumière est ce qui ajoute, qui efface qui réduit, ce qui améliore, enrichit, se fane, souligne, fait allusion, ne devient crédible et acceptable pour le fantastique, le rêve, ou, au contraire, fait grande réalité, le mirage donne le quotidien plus gris, il ajoute de la transparence, suggère des tensions, des vibrations. La lumière creuse un visage, ou lisse, crée une expression où il n'est pas, donne intelligence à l'opacité, séduction à l'ignorance et sottise. La lumière dessine l'élégance d'une figure, glorifie un paysage, invente à partir de rien, Il donne magie à un arrière-plan ... "
J'ai appris par mon oncle Federico que la lumière est le premier effet spécial, conçu comme un truc, comme la tromperie, comme enchantement, atelier d'alchimie, la merveilleuse machine.
Lorsque le photographe Graziano Villa a pensé à ce «Tribute to Paris", il a créé un chemin de "lumières et des ombres" avec un style en tant que directeur de la photographie plutôt que par simple photographe. Villa a cherché dans ses tirs photographiques de capturer la lumière que l'architecture exsude. Photographier l'architecture, Il lui a permis de jouer avec les ombres et les points de vue, lui demandant toujours une participation active.
L'homme est délibérément absent dans les images sur l'affichage alors que le silence fait son apparition. Le seul son que vous sentez en les regardant est celui du vent.
"J'ai toujours aimé les mots que mon oncle Federico, fait réciter pour Roberto Benigni à la fin du film, "La Voce della Luna" (1990):"
"... S'il y avait un peu plus que le silence, si nous avions tous fait un peu plus de silence, peut-être aurions-nous pu comprendre quelque chose ...".
Aujourd'hui, plus que jamais! » Francesca Fabbri Fellini
On l’aura compris, l’œuvre de Graziano Villa est à découvrir à tout prix. Mais comme ce touche-à-tout ne s’arrête jamais, il s’occupe, parallèlement à ses activités artistiques, de la ‘Communication de Francesca Fellini’, nièce du maitre, réalisant pour elle une ‘’Structure Multimédia’’, Web et réseaux sociaux. A suivre….
Pour aller plus loin sur l'artiste : visiter son site
*Fellinette : surnom que le parrain de Francesca, Federico Fellini, lui donnait tendrement.
Photo à la Une : Graziano Villa ©Francesca Fellini