Publié le 12/01/2020

“En Quarantaine”, Jean-Jérôme Esposito : Comédien, humoriste, abonné à l’excellence

En quarantaine Jean-Jérome Esposito Théâtre Toursky

Spectacle « En Quarantaine » Avec Jean-Jérôme Esposito
Vu pour vous au Théâtre Axel Toursky

Salle comble et succès fou à chacune des quatre représentations du spectacle de Jean-Jérôme Esposito, ‘En Quarantaine’ les 7, 8, 10 et 11 Janvier 2020  au théâtre Toursky. De quoi augurer de l’année 2020 en beauté.

« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux »

Jean-Jérôme Esposito, Comédien, Humoriste, Abonné à l’Excellence, en quarantaine

Il a la tendresse du Petit Prince de Saint Exupéry, la sagesse des grands philosophes arabes, l’intelligence du cœur, la combattivité du lion et la fraternité en étendard. Lui, c’est Jean-Jérôme Esposito, un comédien accompli à la carrière impressionnante. Son credo, le partage. On ne rit pas seulement après avoir assisté à l’un de ses ‘seul en scène’, on en ressort plus riche, plus heureux, plus confiant en notre humanité, comme apaisé. Il avait appelé sa première troupe de théâtre « Les petits princes de Saint Exupéry », du nom de l’écrivain donné au lycée qu’il fréquentait alors, le lycée Saint Exupéry. Je ne peux m’empêcher d’établir un lien direct avec ses spectacles, qu’il s’agisse du sublime « Récits de mon quartier » ou du formidable « En Quarantaine », entre ces deux spectacles donc et l’histoire du Petit Prince qui n’est pas une comptine destinée à amuser le lecteur. C’est d’abord une réflexion sur la richesse du monde intérieur et, paradoxalement, sur les rapports avec autrui. Le Petit Prince ne cesse de poser des questions sur le sens de la vie. Les réponses qu’on lui donne mettent en lumière la stupidité des hommes dans un monde privé de valeurs. Jean-Jérôme Esposito procède de même, mais avec l’humour pour clé de voûte.

« J’ai peur. Quand j’étais gamin, j’étais insouciant, mes parents me protégeaient. Quand j’étais ado je croquais la vie à pleines dents, je me sentais immortel. A 20 ans, je me sentais invincible, je conduisais bourré, je prenais un inconnu en stop, Je n’avais pas peur. A 40 ans, j’ai eu peur. J’AI PEUR !!!!!
J’ai peur de vieillir
J’ai peur de la vérité car elle fâche
J’ai peur des marchands de rêves et des briseurs d’espoir
J’ai peur que mes posts ne soient plus likés, commentés, partagés
J’ai peur que cette planète devienne une orange bleue
J’ai peur des lendemains qui déchantent
J’ai peur pour mes enfants,
J’ai peur. Il suffit d’entendre les génériques des journaux télévisés pour comprendre qu’on va mourir
J’ai peur que l’insécurité ne m’oblige à déménager…
Pour ne plus avoir peur, alors je suis POUR !... »
(extrait du spectacle ‘En Quarantaine’)

Ce qui frappe ici, c’est l’alliance parfaite du texte, du mouvement et de l’image, aucun temps mort, aucune faiblesse ; des passages légers, un texte aiguisé, un sens de la scène inné et une connivence de chaque instant avec le public. Une faucille peut servir de lame à raser, un marteau, une truelle, sortent du sac autant de lapins du chapeau du magicien. On est dans la réalité et la fiction. Tout est interchangeable, à la fois déraisonnable et bien en place. On sent que le comédien aime cela, partager les émotions, des mots et des gestes qui interrogent, un aller-retour émotionnel intense où l’homme sur scène se met à nu, se remet en question avec délectation, chaque soir. Le public répond à son tour, se prend au jeu, le dialogue peut s’installer avec le rire et la réflexion, tout en finesse. Avec Jean-Jérôme, le public fait partie du spectacle. Aucune vulgarité dans cet humour-là. Jean-Jérôme se sert d’objets qui parlent au public, qui perpétuent l’action et les mots et transmettent le message avec le rire, finalités absolues du spectacle.

"Le miroir ferait bien de réfléchir avant de refléter ton image "

Un petit miroir reflète son visage grimé.
La vérité est à découvrir au-dessous, dans les mots, les mimiques, les gestes. Les yeux du comédien sont ouverts sur le monde comme ceux du petit prince. Tout l’étonne, tout l’émeut et tout le touche. Désemparé, malhabile, surpris. Où se cache la vérité ?
Jean-Jérôme fait rire et touche là où ça fait mal. Sous le rire et la dérision, les messages percutent doublement.

Je l’ai rencontré. Il répond à mes questions avec le sourire et la sincérité des ‘purs’.

Projecteur TV - Danielle Dufour-Verna : « il y a humoriste et humoriste…»

Jean-Jérôme Esposito : IL y a un délitement dans la qualité de l’humour. J’aime l’humour parce que,  pour moi c’est le descendant direct de la commedia dell’arte ; Quand c’est mal fait, cela déçoit et on n’est plus du tout dans les mêmes critères. En ce moment, c’est souvent l’égocentrisme à fond. J’aime mon métier, je le défends corps et âme.

Projecteur TV DDV : Parlez-moi de vous...

Jean-Jérôme Esposito : Je suis né il y a 45 ans dans les quartiers populaires de Marseille, dans le 14 à côté des usines Ricard. J’ai découvert le théâtre comme beaucoup de jeunes enfants, au collège avec ma prof de français. J’ai vécu des années magnifiques avec tous les professeurs engagés pour la jeunesse. C’était vraiment de belles années.

Récit de mon quartier, un spectacle qui a tourné dans toute la France puis en Algérie et que je vais sans-doute jouer à Naples, retrace mon parcours dans les quartiers populaires de Marseille. Ce spectacle parle d’identité. Dans mon quartier, il y avait toute cette propagande de politique de droite lancée par Sarkozy sur l’identité française. J’ai trouvé cela tellement injuste et idiot que j’ai voulu ajouter ma pierre à l’édifice. J’ai écrit un spectacle sur un petit français avec des parents qui viennent d’ailleurs, un peu autobiographique mais très romancé. Je suis la première génération à être sur l’hexagone. J’ai raconté le parcours de ce jeune garçon. Cela parle à l’universel. Le parcours d’un gamin qui rêvait d’être prof de sport, champion de boxe et qui devient comédien par hasard, qui accroche le hasard et en fait son métier.

J’ai envie de faire réagir par le rire. La réaction appartient au public. C’est à lui de réfléchir.

Projecteur TV DDV : De l’humour pour faire passer des messages ?

« Rire de situations compliquées fait prendre du recul et fait mieux comprendre la situation. »

Jean-Jérôme Esposito : Oui, de l’humour pour faire passer le message, la tendresse. C’est un métier pour moi. Je ne me cache pas derrière l’humour, vraiment. Quand je joue des moments forts, tristes, violents, dans mes spectacles ou ailleurs, c’est, pour moi, le même travail, les mêmes outils. L’outil étant de donner l’histoire à l’autre, sur le plateau, au public, coûte que coûte. Tous les outils sont bons. Il ne faut pas les pervertir, les faire devenir grossiers. Il faut de la sincérité. Je n’ai aucun problème à faire ce qu’on appelle du café-théâtre. Les plus grands, Romain Bouteille, Gérard Depardieu, y ont écrit leurs lettres de noblesse.
Après, tout est récupéré par l’économie. Des Desproges, il n’y en a plus beaucoup mais il y a encore des femmes et hommes qui essaient de se servir de l’humour pour s’intégrer dans le paysage sociétal et pour divulguer une pensée autre que celle entendue tous les jours à la télé. C’est cet humour-là que j’utilise, celui de la Commedia dell’arte qui monte sur les tréteaux en plein marché et fait rire en mettant en exergue les défauts des rois. J’ai envie de faire réagir par le rire. La réaction appartient au public. C’est à lui de réfléchir. Il ne faut pas être didactique dans ce que l’on fait. Chacun pense ce qu’il veut. J’ai envie, moi, de faire réagir à toutes les mauvaises blagues qu’on nous fait dans cette société, qu’il faut être d’une certaine manière etc. Toutes ces choses-là, il faut les combattre et l’humour est un outil formidable pour le faire. Rire de situations compliquées fait prendre du recul et fait mieux comprendre la situation.

Projecteur TV-DDV : D’où vient cette modestie que tous vous reconnaissent ?

« J’ai eu la chance d’avoir dans mes mains pour la première fois un scénario de Guédiguian et un de Blier, de lire cela et de comprendre »

Jean-Jérôme Esposito :De l’éducation. J’ai eu la chance de commencer jeune, j’ai fait mes premiers films à 17 ans et je me suis très vite aperçu du miroir aux alouettes, de ce que ce métier pouvait porter de désagréable et d’inutile. Très jeune, j’ai eu la chance de travailler avec Marcello Mastroianni. J’ai passé avec lui 15 jours sur un tournage de Bertrand Blier, ‘Un Deux Trois Soleil !’ et dans la même année, j’ai eu la chance de travailler avec l’équipe de Robert Guédiguian. Ce métier était tellement loin de ma vie, de ma famille. Personne n’était acteur chez moi. On aimait intensément le théâtre et l’opéra en famille, mais je pensais que ce n’était pas pour moi. C’était loin de nous, ce n’était pas mon milieu. Mon père était passionné d’opéra. A la maison, on écoutait Beniamino Gigli, Caruso.

Mon père disait souvent cette phrase après m’avoir fait écouter des morceaux : « C’est la musique des Dieux. Celui qui n’est pas touché par ça n’est pas un humain. » Quand on écoute Tosca ou Pagliaccio –j’ai découvert les autres plus tard car pour mon père c’était surtout les opéras italiens- il y a quelque chose d’inexplicable qui se produit.

À l’époque j’avais tous les ‘dys’ : dyslexique, dysorthographique, etc.

Je faisais du théâtre pour me faire plaisir et parce que c’est un endroit où il y a des paroles intéressantes. A l’époque j’avais tous les ‘dys’ : dyslexique, dysorthographique, etc. J’avais beaucoup de connaissances mais je ne savais pas les coucher sur le papier. Je n’ai jamais réussi à avoir le Bac. Par contre, je savais qu’en montant avec des camarades une troupe de théâtre, j’allais pouvoir m’exprimer autrement et réussir à vivre des moments heureux au lycée. Sorti du collège où j’avais commencé à faire du théâtre, cela me manquait. A part le sport que j’adorais, il n’y avait pas d’endroit où m’exprimer. Je n’en avais pas la possibilité. Je n’étais pas bon en rédaction, en orthographe, ni dans les autres matières. La troupe a duré cinq ans, le temps de mon passage au lycée. On répétait au lycée et on faisait tout nous-même, costumes, scène etc. Puis, faute de salle, c’est l’Harmonie de l’Estaque qui nous a accueillis dans ses locaux. En 1992, Guédiguian tourne au Plan d’Aou. Il cherche de jeunes acteurs et l’Estaque est installée dans son quartier. André Piana, Dèdou, le gérant de l’Harmonie à l’époque, dit à Robert Guédiguian : « Il y a des jeunes qui répètent, viens les voir. » Guédiguian arrive avec une partie de son équipe et ils nous observent. Par la suite, nous avons passé une audition et j’ai été pris avec une jeune fille. La personne qui s’occupait du casting s’occupait également du film de Bertrand Blier qui se tournait à la Castellane et j’ai été pris dans les deux.
Rencontrer ces deux personnes, Blier et Guédiguian, c’est fantastique car peu de personnes ont fait dans le monde ce qu’eux ont fait dans leur carrière, une œuvre aussi riche. Ces gens-là m’ont donné le goût du travail bien fait. J’ai eu la chance d’avoir dans mes mains pour la première fois un scénario de Guédiguian et un de Blier, de lire cela et de comprendre. J’ai rencontré avec l’équipe de Guédiguian, des gens bienveillants et intelligents, conscients de la société dans laquelle ils vivaient et de pouvoir combattre. Ce sont des camarades, des repères forts, à l’image de Gérard Meylan, des amis.

Projecteur TV - DDV : Votre rencontre avec Robert Guédiguian a-t-elle été fondamentale dans votre vie ?

« J’ai mis des mots sur ce que j’avais dans le cœur »

Carrément ! J’étais un jeune des quartiers, pas du tout politisé. J’en voulais à la terre entière comme tous les adolescents qui trouvent que le monde est injuste. Je ne savais pas que ce que je voulais pour ma jeunesse et mon quartier, d’autres avant moi l’avaient réfléchi. Je ne savais pas que le communisme existait.
Je ne savais pas comment structurer ma pensée. J’avais appris à l’école, communisme, capitalisme, la guerre froide, etc. mais pour moi cela faisait partie de l’Histoire, pas de mon histoire. Quand j’ai rencontré l’équipe de Guédiguian, que j’ai entendu parler de combat, je me suis dit : « Mais c’est cela que je pense moi aussi ! » J’ai mis des mots sur ce que j’avais dans le cœur. Avec Blier également, je me suis dit : « c’est ce que je veux faire ! » Parler à ma manière, avec mon originalité, parler de notre monde, de ce qui nous entoure.

Projecteur TV - DDV : Deux mots sur Marcello Mastroïanni ?

« Joue comme si c’était la vraie vie. »

Jean-Jérôme Esposito : Je suis arrivé sur le tournage très content. C’était un des acteurs préférés de ma grand-mère. En tant que jeune des quartiers, je savais que c’était un grand acteur, mais je ne savais pas quel grand acteur il était. J’étais tous les jours près de lui. On parlait de tout et de rien avant de tourner. Le premier mot que je lui ai dit était en Italien car je pensais qu’il ne parlait qu’Italien, en fait il parlait très bien le Français. Je lui ai dit que mes grands-parents étaient originaires de Procida, près de Naples. Il m’a dit que lui aussi venait de quartiers populaires en Italie et quand il disait à ses copains qu’il voulait être acteur, on se moquait de lui, on le raillait. Cela correspondait un peu à ma vie et je me souviendrai toujours de la première scène qu’on a tournée. J’ai joué très mal. J’étais très stressé et impressionné, pas par lui, car il avait cette qualité des grands qui savent te mettre à l’aise. C’était une star, mais en face de toi tu avais ton oncle ou ton voisin. Il comprenait immédiatement le jeune acteur que j’étais. Il m’a dit alors cette phrase magnifique que je n’oublierai jamais qui est dans le texte du spectacle ‘Récits de mon quartier’, il m’a dit : « Joue comme si c’était la vie. »
C’est une phrase simple, que tout le monde peut prononcer, mais venant de lui, à ce moment-là, avec l’intention qu’il a mise dans cette phrase, il y a eu un déclic en moi. J’ai compris à ce moment-là le rapport au jeu de l’acteur. Plus tard bien sûr, j’ai lu, beaucoup, je me suis spécialisé dans tout cela, mais avec cette simple phrase, Marcello Mastroianni m’a tout donné. A 45 ans, je me dis encore parfois : « comme si c’était la vie ».

Projecteur TV - DDV : Quel monde pour les jeunes aujourd’hui ?

Jean-Jérôme Esposito : Le monde qui est proposé aux jeunes aujourd’hui les détourne de l’essentiel des rapports humains. J’en rie dans le spectacle en disant « Depuis quand on a cru un jour que les tablettes, les écrans, les Nintendo allaient renforcer les liens familiaux ? » On les a mis derrière un écran, ils ne sont plus dans le concret des choses, dans le rapport aux autres, le rapport à la nature, le rapport aux belles et aux vilaines choses. On construit quelque chose de déplorable pour l’humanité et qui touche en premier notre jeunesse. Quand je vais donner un cours dans un lycée et que je vois des jeunes en pleine force de l’âge ne plus faire de sport car la seule chose qu’ils font est jouer à des jeux vidéo, c’est horrible.

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