- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 10 min
Federico Fellini, et le monde entier rêve de La dolce vita
La dolce vita, sorti en France en 1960 sous le nom La douceur de vivre, est le film fondateur de ce que l’on appellera plus tard le style “fellinien”. L’image de Rome est encore aujourd’hui imprégnée par les déambulations de Marcello Mastroianni et Anita Ekberg, inoubliables de beauté. Retour sur leurs traces, et rencontre avec la seule héritière de Federico Fellini, sa nièce, Francesca.
Federico Fellini, la vie du réalisateur racontée par sa nièce Francesca. La naissance de l'univers fellinien dans les yeux de Fellinette.
Léonard de Vinci, Michel-Ange, Dante, Machiavel, Leopardi, Fellini, Rossellini, Lattuada, Ettore Scola, Giulietta Masina, Anna Magnani, Marcello Mastroianni… Des noms sont écrits au panthéon de notre mémoire. Mais quand un nom de famille devient un adjectif… c’est fellinien, et le monde entier rêve de Dolce Vita.
À Rome, comme partout ailleurs, contraint, forcé, le monde entier reconquiert une part de silence, mais éprouve aussi le besoin vital de s’évader, de rêver.
Voici, pour nos lecteurs, une incursion dans la Rome nocturne, endormie et pittoresque, celle de Fellini et une rencontre avec sa nièce et filleule, unique héritière du grand réalisateur : Francesca Fabbri Fellini.
Un voyage dans la Rome de la douceur de vivre
« Marcello, come here. Hurry up ! »
« Marcello, venez ici. Dépêchez-vous! » - Cinq mots en anglais et, en quelques secondes, l'image d'une femme magnifique se baignant dans la fontaine de Trevi se matérialise dans notre esprit iconique et éternelle. La fameuse séquence du film de Fellini a contribué à l’image d’une Rome captivante mais également renforcé la magie du 7e art. Mêlons nos pas à ceux de Marcello et d’Anita dans la Rome de la Dolce Vita, un voyage "hors du temps". Nous devenons protagonistes des nuits romaines magiques, visitant les lieux enchanteurs rendus immortels par les plus grands réalisateurs italiens de tous les temps : Via Vittorio Veneto, Piazza Barberini, Piazza del Quirinale, Fontaine de Trevi, Panthéon, Piazza Navona, Via Condotti, Trinità dei Monti... En partant de Porta Pinciana et en traversant les arches auréliennes, nous arrivons à Largo Federico Fellini, dédié au Maestro qui changea la façon de faire du cinéma en "créant l'inexprimable". Nous continuons sur la Via della Dolce Vita, une Via Vittorio Veneto élégante et raffinée, un quartier de la classe moyenne supérieure, un point de rencontre pour les intellectuels et les célébrités de la vie nocturne des années 1960. Ici, Fellini, Pasolini ou Mastroianni sont assis autour d’un cappucino. Au bout de l'avenue, nous arrivons sur la Piazza Barberini, avec la fontaine du Triton de Gian Lorenzo Bernini, qui représente Neptune, le dieu des eaux. Après avoir admiré la maîtrise de l'artiste baroque, nous continuons sur la Via delle Quattro Fontane, à partir de laquelle, en tournant à droite sur la Via del Quirinale, nous gravissons l'une des sept collines, contemplant ainsi un fantastique panorama de Rome la nuit.
La dolce vita ou la douce vie de Fellini
En descendant la Via della Dataria et en tournant à droite sur la Via dei Lucchesi, nous pouvons déjà entendre le bruit de l'eau annonçant la fontaine la plus célèbre de Rome, la Fontaine de Trevi. La belle Anita Ekberg, vêtue d’une longue robe noire plonge dans les eaux de la fontaine, suivie de son amant Marcello Mastroianni.
Après avoir jeté une pièce de monnaie dans la "piscine" du dieu de l'océan, en passant par la Via delle Muratte et en continuant sur la Piazza di Pietra, nous trouvons les vestiges de l'ancien temple dédié à l'empereur Hadrien. Une petite rue nous mène au majestueux Panthéon, un temple romain dédié aux dieux de l'Olympe. Un peu plus haut, se dresse la basilique de Santa Maria Sopra Minerva et l'obélisque du Bernin, soutenus par un éléphant en marbre. Vers la Via della Rotonda et en tournant à gauche vers le Palazzo Madama, nous atteignons la Piazza Navona, emblème de la Rome baroque avec la fontaine des quatre fleuves du Bernin et l'église de S. Agnese à Agone, liée à Francesco Borromini et Girolamo Rainaldi. En continuant sur la Via Zanardelli et à droite sur la Via di Monte Brianzo, nous arrivons dans la Via della Fontanella Borghese, suivie par l'élégante Via dei Condotti synonyme de Dolce Vita moderne, où sont basés les Ateliers de haute couture. Nous voici arrivés à la merveilleuse Piazza di Spagna, cœur du tourisme romain, avec la fontaine Barcaccia du jeune Bernini et l'escalier panoramique, qui se termine par l'église de Trinità dei Monti. Après les 135 marches, nous sommes dans la Via Sistina, qui nous ramènera sur la Piazza Barberini, puis à la fin de notre itinéraire, à Rome, la nuit, à travers les rues de la Dolce Vita.
Sublime Federico Fellini
Federico Fellini est né le 20 janvier 1920 à Rimini et mort le 31 octobre 1993 à Rome. 100 ans ! Partout de somptueuses célébrations ont vu le jour pour commémorer l’anniversaire de sa naissance, célébrations malheureusement interrompues par la crise du Coronavirus.
Fellini, avant tout, c’est un caricaturiste de talent. Evidente dans ses films, la caricature est mêlée au surréalisme, à la tendresse, à l’humour : tout l’univers de Fellini. En 1938, jeune homme, il entre au Journal satirique Marc Aurélio, à Rome. Il y fera ses marques avec des compagnons qui ont pour noms : Ettore Scola, Cesare Zavattini… Là prendront forme les personnages typiques de leurs films.
Federico Fellini fait partie de l’histoire universelle du cinéma, il appartient à son public. Le mythique studio 5 de la "Cinecittà" à Rome, le temple personnel du metteur en scène, a pris le nom de "Studio Federico Fellini". Désormais, les réalisateurs qui entrent dans le monde de Fellini, Scorsese, Spielberg, Bergman et tant d’autres, sont tous ses fils spirituels. L’univers de Federico est devenu Fellinien. Le regard aiguisé, amusé, distendu, fantastique du réalisateur, ce regard a changé celui que les hommes posent sur les choses, sur les êtres. Fellini ne hante pas l’Italie : l’Italie est Fellini. L’homme est un rêveur d’humanité, un magicien du rêve : richesse et complexité des personnages, onirisme, goût pour l’excentricité et la confusion entre l’artifice et le réel. À partir de Fellini, le monde du cinéma n’a plus été le même, un bouleversement, à la hauteur du personnage.
Dans les yeux de la Fellinette
Elle s’appelle Francesca Fabbri Fellini. Ex journaliste de la Rai, la splendide jeune femme aux cheveux flamboyant a un charme piquant, les yeux vifs, le sourire lumineux. Je la rencontre à l’occasion de la sortie d’un livre, A Tavola Con Fellini (à table avec Fellini), des recettes à Oscar de la sœur Maddalena dans lequel Francesca Fellini a regroupé les recettes cuisinées avec tendresse par sa mère Maddalena pour ce frère adoré. Derrière le maître, il y a l’homme. Francesca narre un Fellini jovial, bon vivant, plein d’humour. Actrice, la maman de Francesca, Maddalena a joué dans plusieurs films. Elle fut terriblement affectée par la perte de son grand frère Federico, suivie de peu par celle de sa belle-sœur Giulietta. Par le biais d’un livre de recettes, on entre dans la vie d’une famille simple et généreuse, à l’image du grand Fellini. La table, c’est le partage, la chaleur du foyer, l’enfance qui affleure avec le goût de la "pastina", l’odeur des petits pois cueillis frais au jardin, les châtaignes rôties au coin du feu… Francesca Fellini livre son enfance près de cet oncle, dans ses pages où les photos de famille et la couleur des plats flirtent avec celles des souvenirs.
« La vita è una combinazione di pasta e di magia » ("La vie est une combinaison de pâtes et de magie")
Federico Fellini, petit-fils de représentant en commerce alimentaire, avait un rapport étroit à la nourriture. Dans la maison familiale, les meules de parmesan embaumaient le salon. Il avait confié à sa nièce Francesca :
« Un jour, alors que je me trouvais avec deux producteurs portant colliers d’or, chevalière au petit doigt et qui se parfumaient d’après-rasage, je me rendis compte que, malgré toute ma volonté, j’étais en train de suivre les traces de mon grand-père. La vie m’avait contraint à faire le vendeur de meules de parmesan comme lui, mais seulement, je les appelais films… »
Federico Fellini, l’oncle « Chicco »
Dans la voix de Francesca me livrant des bribes de vie de son oncle, il y a une douce émotion. Ayant eu un unique enfant décédé dix jours après sa naissance, me dit-elle, Giulietta et Federico reportent leur amour sur Francesca, leur filleule. Fellini la nommait "sa Fellinette". Elle l’appelait Chicco. Francesca vit à Rimini en Italie, ville natale des Fellini. Elle transmet leur histoire et s’occupe de promouvoir le cinéaste Fellini, mais surtout l’homme, cet oncle tant aimé, avec minutie, sincérité, passion, associant dans un même élan de tendresse sa tante, l’immense et inoubliable actrice Giulietta Masina, l’épouse, la muse, dont les yeux pétillants de malice et de bonté ont fait chavirer le cœur de Fellini. Éternelle Cabiria, malicieuse Gelsomina (La Strada) au visage enfariné et pathétique, sublime et émouvante Juliette des esprits, elle a rejoint son mari seulement quatre mois plus tard. Indissociables dans la vie, leur amour les a rassemblés par-delà la mort. On découvre un Fellini tendre, généreux, aimant, dont le pilier était Giulietta, un frère affectueux demandant "la pastina" à sa sœur. Quelques mois avant sa mort, Fellini reçoit des mains de Sophia Loren l’Oscar à la carrière. Près de lui, l’ami de toujours, Marcello Mastroianni. Fellini dédie l’oscar à son épouse, émue aux larmes et lui dit : « Thank you, dear Giulietta and please, stop crying ! » (Merci, chère Juliette, et s’il te plaît, arrête de pleurer).
Le soleil s’est levé sur Rome, découvrant les toits fleuris de la capitale. A Rimini, une brume légère envahit la jetée. Au loin, la silhouette floue, indécise, d’un bateau, comme un clin d’œil à Fellini… Vogue le navire… E la nave va.
Photo à la une : Marcello Mastroianni et Anita Ekberg dans La Dolce Vita.