- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 8 min
Rencontre avec Davide Galbiati, sculpteur figuratif de l’invisible
Portrait d’un artiste : Davide Galbiati, sculpteur. “Dans ma famille on n’a pas de tradition artistique. Toutes les études que j’ai faites m’emportaient dans une direction totalement opposée”. Issue de la banlieue milanaise, rien ne prédestinait Davide Galbiati à devenir sculpteur. Aujourd’hui, il vit dans le sud de la France et expose dans toute l’Europe. Ses sculptures ? Elles figurent l’intériorité de l’Homme.
La cathédrale de la Haute ville, illuminée par les vitraux du Père Kim En Joong, accueille pour la troisième fois le sculpteur Davide Galbiati qui expose une vingtaine de ses pièces uniques, à l’invitation de l’Association des Amis de l'église de la cité médiévale. Dans cet espace sacré qui invite au dépassement de soi, l’artiste, originaire d’un village à côté de Milan, utilise une multiplicité de matériaux : le bois, le béton, le plâtre comme la résine. Devant l’autel trône une splendide sculpture intitulée « Royaume », la première que Davide réalise en métal soudé, retrouvant par là le premier matériau familier de sa jeunesse puisque c’est celui que travaillait son père, Pierino, restaurateur de voitures de collection. Pourquoi « Royaume » ? Parce que ce qu’on voit c’est « une sorte d’énorme espace intérieur qui permet à cette personne de s’épanouir ». Depuis ses débuts, il poursuit sa démarche esthétique en alliant le figuratif et la spiritualité. « J’aime, dit-il, ces êtres habités d’une énergie qui vient un peu d’ailleurs ».
"Dans ma famille on n’a pas de tradition artistique" (Davide Galbiati)
Commençons par le début. Un artiste a d’abord été un enfant puis un apprenti. Comment la sculpture est-elle venue à lui ? « Dans ma famille on n’a pas de tradition artistique. Toutes les études que j'ai faites m'emportaient dans une direction totalement opposée. Depuis l'école primaire le dessin m'intéressait, mais de façon ludique, même si mes professeurs conseillaient à mes parents de m'envoyer aux Beaux-Arts. »
Davide Galbiati, Comptable ou sculpteur ?
« Mon père pensait que la comptabilité était un meilleur chemin ».
De métier, il restaurait et modelait à la main des voitures de collection. « Ce qui m'avait marqué, c'est qu'il y avait un savoir-faire qui n'était pas forcément lié à des études. J’avais une envie pas encore bien définie de voir autre chose et de sortir de la banlieue milanaise. »
Par hasard, il tombe amoureux de cet instrument australien très ancien qui s'appelle le didgeridoo. Le didjeridoo est fait d'eucalyptus dont le tronc est évidé par des termites. « Je me suis dit qu'il fallait que je le construise. » Et pendant quatre ou cinq ans il construit des didjeridoos. « C’était une bulle d'oxygène pour moi. Plus je travaillais plus je me sentais rempli d'énergie. Cela a été ma première approche du bois. Mais je ne savais pas du tout comment sculpter un arbre. »
Langarone, Mauro Corona
Davide Galbiati contacte des sculpteurs qui travaillaient autour de Milan, et il a la chance d’être invité en 2003 à Langarone. C’est à Langarone que le barrage de Vajont a cédé en 1963 faisant 1900 morts. Une cinquantaine de sculpteurs avait été sollicités pour construire un monument commémoratif. « Des personnages formidables m’ont ouvert les yeux par rapport à la sculpture ». C’est là en effet qu’il rencontre Mauro Corona, écrivain, sculpteur sur bois, et alpiniste, élève du grand Augusto Murer.
Ortisei, la découverte d’un autre monde
À 28 ans, Davide Galbiati va quitter Milan et partir pour le sud Tyrol. « Il fallait que je trouve une école qui me forme. Avec le bois c'est comme si j'avais trouvé quelque chose que j'avais perdu. » Les Beaux-arts de Milan lui semblaient très théoriques, avec très peu de modelage. Davide choisit d’aller à Ortisei dans la vallée de Val Gardena où l'on trouve une école de sculpture et des ateliers spécialisés dans la sculpture d'art sacré, la fabrication de crèches et de jouets.
« J'ai découvert un autre monde. Être sculpteur là-bas, c'est comme être plombier ailleurs. »
Huit heures par jour, il fait du dessin, du modelage et de la sculpture sur bois. « On a des modèles en argile et puis on les copie en bois. Si l’on veut sculpter du bois de noyer, on a un professeur qui explique quand on le coupe, comment reconnaître les arbres, et ça c'est quelque chose qui m'a énormément plu, c'est ce que je cherchais ».
Le sculpteur en devenir suit quatre ans de formation technique très poussée : de l’ébauche à la hache jusqu’à la finition. Les normes imposées très contraignantes, jusqu’aux doigts de la main de la statue qu’on sculpte qui doivent être d'une certaine longueur… « La première année et la deuxième année, c'était très bien. Au bout de la troisième année, ça commence à devenir un peu pesant. Mais on travaille avec des professeurs professionnels qui donnent le goût de l’ouvrage bien fait. Ce sont des maîtres qui m'ont transmis l'importance du temps et de la patience, le sérieux, l'importance du dessin, les études anatomiques ».
Les maîtres, les autres artistes, et …lui, Davide Galbiati
Lorsqu’on demande à Davide de citer ses admirations ou ses intérêts pour les autres sculpteurs, c’est un catalogue très documenté qu’il est capable de sortir à l’exemple de Leporello listant à Elvira les conquêtes féminines de son maître Don Juan : « en Italie, six cent quarante ; en Allemagne, deux-cent trente et une ; cent en France; en Turquie, quatre-vingt onze ; mais en Espagne déjà mille et trois » !
« Je ne suis jamais content de ce que je fais. Je regarde beaucoup les autres artistes, ceux qui sont à l’opposé de moi. Mais je ne me fais pas trop influencer. J’adore exposer avec d’autres, c’est motivant et ça pousse à donner le maximum, mais je trace mon chemin seul. On est solitaire tout en étant nourri par tout ce qui se passe autour. »
Figurer l’intériorité de l’homme
« Dans mon travail j’aime beaucoup essayer de parler de ce qui est à l’intérieur de l’homme … J’aime beaucoup mettre en avant le visage, le corps, parfois des torses, parfois des corps entiers. J’aime beaucoup ce jeu de miroirs, dialoguer avec l’œuvre que j’ai en face comme une sorte de question-réponse. La question vient toujours de mes mains, de ce que j’ai à l’intérieur et la réponse (que je n’ai pas toujours) se trouve en face. C’est lié à l’intérieur et à l’extérieur.
Le thème que j'aborde tout le temps est celui de la spiritualité, de l’intériorité de l’homme qui puisse s’extérioriser en quelque sorte. C'est un défi que je me donne avec la sculpture. Vouloir mettre en avant cet aspect de l’homme à travers du figuratif, ça peut être risqué, parce que ça peut être trop explicatif, ça peut banaliser le thème, mais en tout cas ça me tient à cœur de réfléchir à l’homme comme quelque chose qui ne soit pas simplement un ensemble d’os, d’organes, d’émotions, mais quelque chose qui l’habite, qui transcende lui-même. »
La symbolique de la graine
Sur certaines des statues de Davide Galbiati , ont poussé des petites incrustations colorées : c’est ce qu’il appelle « la symbolique de la graine ». « Quand j’allais choisir mes arbres, je me suis aperçu qu’ils avaient des techniques différentes pour survivre avec leurs graines. On peut avoir des arbres très anciens comme le cèdre dont les graines sont une sorte de poussière presque fluo qui s’éparpillent partout alors que les petites graines de l’érable sont montées sur des petites pales d’hélicoptère et quand il y a du vent elles peuvent franchir des distances incroyables. Cela me fascine de voir quel effort la Nature fait pour inventer des techniques différentes pour résister au temps qui passe. Et nous, ça nous concerne parce qu’on a tous quelque chose qu’on veut sauver ou quelque chose qu’on a à nourrir à l’intérieur et à faire grandir comme une petite graine. C’est le travail d’une vie entière. J’aime beaucoup faire parcourir à mes sculptures un chemin où elles sont accompagnées avec une graine qui représente à mon avis le symbole de la formation. Dans la nature le fruit est toujours à la vue de tout le monde, mais pour la nature ce qui est important ce n’est pas la chair qu’elle nous offre, mais c’est plutôt le noyau qu’on doit faire voyager pour qu’il puisse y avoir une vraie génération. »
La nouvelle exposition vaisonnaise de Davide Galbiati est à voir jusqu’à la fin septembre
Installé en Provence depuis 2011, à Vaison-la Romaine d’abord et actuellement à Valréas, Davide Galbiati en est à sa troisième exposition dans la cathédrale de la Haute ville. Elle se nomme « Praesentia ». Ce nom interroge comme les statues de l’artiste aux yeux clos ou au regard fixant le lointain.
L'exposition est visible en entrée libre jusqu'au dimanche 27 septembre, tous les jours de 10h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h30. L'accès à la cathédrale et la visite des lieux est organisée dans le plus strict respect des consignes sanitaires. Davide Galbiati est présent tous les samedis et dimanches pour recevoir les visiteurs et parler de son art.