- Auteur Viviane Le Ray
- Temps de lecture 13 min
Rencontre avec David Lefèvre, 1er Violon Solo Supersoliste de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
“Je dirai que les choses les plus banales sont les plus fortes, combien dire je t’aime est tellement important, que sans musique la vie est une erreur, je parle de toutes les musiques, je parle de l’art en général. La vie sans art est une erreur, qui plus est à l’heure actuelle, à l’heure des réseaux sociaux, des écrans qui se multiplient.” Rencontre avec David Lefèvre, premier violon solo supersoliste de l’OPMC et chef d’orchestre !
Lauréat des Fondations Yehudi Menuhin et Georges Cziffra, David Lefèvre est depuis 1999, premier violon solo Supersoliste de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Il est aussi chef d’orchestre et dirige régulièrement de grands ensembles comme l'Orchestre de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne, l'Orchestre Philharmonique Georges Enescu de Bucarest, l'Orchestre Symphonique de Trois-Rivières au Canada et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo où il a notamment interprété avec un immense succès les 4 Saisons d’Antonio Vivaldi et les 4 Saisons de Buenos Aires d’Astor Piazzola. Il a récemment réalisé la première audition mondiale du Concerto pour violon et orchestre du grand compositeur italien Marco Taralli. Ce concerto qui lui est dédié a été interprété avec l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo…
David Lefèvre, 1er violon solo, supersoliste de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Notre interview entre deux répétitions
Viviane Le Ray : David Lefèvre, je me suis laissé dire que vous apparteniez à une grande famille de musiciens ...
David Lefèvre : Nous étions quatre frères musiciens : deux pianistes, deux violonistes… Maman était musicienne en ce sens qu’elle a élevé quatre garçons musiciens, c’était au temps où il n’y avait ni internet, ni réseaux sociaux, rien de tout cela, il y avait donc moins de diversions pour les enfants, maman n’était absolument pas qu’une mère au foyer, c’est la personne grâce à qui mes trois frères et moi nous sommes devenus ce que nous sommes. Maman était là pour nous encourager, nous apprendre qu’il fallait travailler son instrument. Franco-canadien, je suis le seul de nous quatre né au Québec, à Montréal, mes parents, Français, ont émigré au Canada à une époque où, dans les années 60-67, le Québec recherchait des musiciens professionnels, mon père, clarinettiste professionnel, enseignera alors dans les universités du Québec.
« Il faut qu’il poursuive le piano… »
VLR : A quel âge avait vous débuté le violon ?
David Lefèvre : J’ai commencé le violon à 4 ans, nous étions une famille où nous nous stimulions les uns les autres, tout le monde jouait à la maison ! Benjamin, j’entendais les grands jouer du piano, j’ai donc étudié le piano durant plusieurs années, mais le violon était toujours la priorité. Mais je me souviens clairement qu’à un moment donné mon professeur de piano a dit à mes parents « il faut qu’il poursuive le piano… » J’avais peut-être déjà réfléchi je ne sais pas comment qu’être pianiste serait largement plus difficile qu’être violoniste peut-être parce que j’avais deux frères pianistes, j’ai pensé que ne serait-ce que pour gagner sa vie, il y a des milliers d’orchestres de par le monde, et que dans un orchestre il y a un pianiste et une trentaine de violonistes. J’avais sans doute perçu un avenir plus sûr, un avenir plus grand. Je ne l’ai jamais regretté. J’ai mené en parallèle des études, un bac scientifique. J’avais un emploi du temps comme peu d’adolescents en ont, ça fonctionnait très bien j’étais dans les premiers, mais un jour que je réalisais une expérience de biologie, j’ai eu un flash, une révélation : je me suis dit « Mais qu’est-ce que je suis entrain de faire là ?» J’avais un concours de violon dans un mois, je devais clairement travailler. J’ai pensé « Je termine cette expérience et j’arrête ! ». Je n’ai plus jamais voulu me disperser…
VLR : Vous avez, j’imagine passé de grands concours, un des premiers celui de Douai a beaucoup compté pour le jeune musicien d’alors ?
David Lefèvre : Ce n’est pas le plus grand au monde, mais à cette époque c’était l’antichambre des hauts niveaux du CNSM… Il y avait en lice des musiciens tels que Renaud Capuçon, qui était finaliste, j’ai reçu le 1er Grand Prix. Ce Prix a donné un grand coup de pouce pour à ma carrière musicale, d’autant qu’il y avait à la clé une bourse très conséquente et une tournée de concerts avec « La Symphonie espagnole » d’Edouard Lalo… Le Chef d’orchestre, assistant de Michel Plasson du Capitole de Toulouse, à l’issue de cette tournée m’a demandé si j’avais pensé au Capitole où l’on avait besoin d’un Super soliste. Il m’a proposé de rencontrer Michel Plasson, vous vous en doutez je n’ai pas dit non ! J’ai fait cette rencontre et cela va être tellement passionnant qu’à 23 ans j’allais débuter ma carrière comme 1er violon solo au Capitole de Toulouse où je jouerai pendant sept ans…
VLR : Comment s’est passée la rencontre avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo ?
David Lefèvre : L’histoire me fait encore sourire, ça s’est passé un peu comme avec les équipes de foot qui s’échange les joueurs… Un beau jour j’ai reçu un appel de Monte-Carlo, au bout du fil l’illustre directeur administratif et artistique du Philharmonique : René Croesi. Cela correspondait avec l’arrivée en Principauté de Marek Janowski, qui restera Chef d’orchestre en titre du Philharmonique assez longtemps. A la suite de tractations, de discussions, d’essais, j’entre au Philharmonique de Monte-Carlo il se trouve qu’aujourd’hui je fais partie de l’Orchestre depuis 21 ans !
VLR : Celui qu’on nomme le « grand public », ne connaît pas toujours ce que l’on entend par l’appellation « supersoliste », accolée à celle de 1er violon, pouvez-vous nous éclairer sur votre fonction, est-elle hiérarchique autant que musicale ?
"On peut dire que le 1er violon solo est là pour centraliser les énergies."
David Lefèvre : C’est tout simplement l’appellation française, d’un pays à l’autre cela varie : en Allemagne on l’appelle Konzertmeister, en Angleterre Leader, en France Violon solo supersoliste, il est celui à qui le Chef d’orchestre serre la main en entrant en scène et en quittant la scène, comme s’il incarnait l’ensemble de l’orchestre à lui seul. C’est la personne qui lie entre eux les musiciens, qui représente l’orchestre, une sorte de tampon entre les musiciens, un médiateur parfois… Le chef de par sa gestique, entraîne l’orchestre entier mais le 1er violon supersoliste relaye l’information, on peut dire que le 1er violon solo est là pour centraliser les énergies. Le Chef d’orchestre s’il rencontre des problèmes ne peut pas s’adresser à 90 personnes, il se rapproche du 1er violon solo, c’est un rôle très diplomatique, en dehors du talent musical, si l’on a pas d’empathie on ne peut pas exercer ce métier, ça ne fonctionnera pas ! Je dirai que nous sommes un maillon essentiel. Chaque musicien d’un orchestre, quel que soit son instrument doit faire partie de cette unité. C’est le personnage le plus important après le Chef d’orchestre. Il se trouve que je suis aussi Chef d’orchestre, quand j’assure ces deux fonctions bien sûr je suis en charge de toutes les répétitions… Musicalement parlant le 1er violon super soliste dirige l'accord des cordes. Il reçoit le La du hautbois, le transmet aux cordes, et s'assure que chaque pupitre s'accorde correctement, c'est alors, seulement, que le Chef d'orchestre entrera en scène…
VLR : Vous avez, en 21 ans à Monaco, connu plusieurs grands Chefs d’orchestre du Philharmonique. Chacun a son tempérament, vous le vôtre, est-ce difficile de s’adapter à la manière de diriger de chacun, à son caractère ?
David Lefèvre : C’est un élément inhérent à notre métier, si on ne parvient pas à s’adapter il faut arrêter, si un musicien ne s’adapte pas ce n’est pas une tare mais c’est impossible d’être 1er Violon sans cette faculté. Dans un orchestre, il y a bien entendu le chef titulaire mais il n’effectue pas la totalité des concerts, il suffit de lire un programme pour s’en rendre compte, et puis nous avons les chefs invités qui ouvrent des horizons à notre orchestre, je peux même dire que nous aimons cela…
VLR : C’est aussi un métier très physique, j’imagine ?
"Oui, c’est difficile physiquement parce que bien entendu nous n’échappons pas à la loi de la nature !"
David Lefèvre : Intensément et chaque jour qui passe nous fait vieillir un peu plus, même les plus jeunes ne s’en sortent pas indemnes, tout résistant qu’ils soient : Je fais moi-même 5 à 6 heures de violon chaque jour, voire 10 heures, lors des répétitions d’orchestre. La musique implique la passion et chaque fois qu’on aborde une œuvre qu’on a jouée il y a 10 ans, 20 ans il faut la retravailler à fond. Ça fait peut-être chic et bon genre de dire « ça va aller », moi je n’ai pas honte de dire que je travaille beaucoup parce que plus on travaille une œuvre plus on découvre l’ampleur du vide de la connaissance. Je peux avoir le vertige, voire peur, devant ce vide, je trouve cela merveilleux. Le concert d’Ernest Chausson dont je vous ai parlé, je l’avais enregistré il y a une dizaine d’années, enregistrement qui avait à l’époque été distingué par le magazine anglais Gramophone. Ce n’est pas parce que je l’ai joué il y a dix ans que je vais le ressentir de la même façon. Le coup d’archet est différent, l’archet on peut le tirer ou le pousser selon son humeur ! On s’adapte au lieu aussi. Pour répondre à votre question, oui, c’est difficile physiquement parce que bien entendu nous n’échappons pas à la loi de la nature !
VLR : Le trac, à votre niveau, vous connaissez ?
David Lefèvre : Le trac existe lorsque le musicien n’est pas sûr de son travail, je ne dirai pas que je ne le connais pas, on sent toujours « un petit quelque chose », c’est sans doute ce qui explique pourquoi je travaille beaucoup…
VLR : Vous êtes 1er violon solo… mais aussi Chef d’orchestre…
David Lefèvre : Je suis Chef d’orchestre, mais un chef sans baguette à la main, je dirige avec le violon, je joue et dirige en même temps. Le rôle d’un Chef d’orchestre est indiscutablement très important mais il peut parfois provoquer un certain relâchement chez les musiciens qui peuvent être en mode passif. Lorsque je dirige un orchestre en jouant moi-même chaque musicien est extrêmement concentré, précis. Parfois je fais jouer mes musiciens debout ce qui change le niveau d’énergie, même si l’on peut penser que c’est confortable de jouer assis… Lorsque je leur propose de jouer debout les musiciens aiment la formule…
VLR : Le pedigree de votre violon, fétiche j’imagine ?
La magie entre le musicien et une vieille dame de 270 ans
David Lefèvre : C’est une vieille dame de 270 ans, de l’Ecole de Venise, une œuvre d’art, un Pietrus et Antonius Dalla Costa datant des années 1750, j’ai beaucoup de chance car il m’appartient. C’est « mon » violon ! Il m’accompagne depuis une vingtaine d’années, il est le prolongement de mon bras, ce n’est pas un objet en bois, c’est une personne vivante qui réagit… Ceux qui ne croient pas à ça en ont le droit, mais il se crée de la magie entre le musicien et son instrument.
VLR : Durant toutes ces années vous avez pu poursuivre votre carrière, à titre personnel, à travers de nombreux concerts à l’étranger…
David Lefèvre : Un des grands intérêts de notre orchestre est cette opportunité pour un 1er violon solo supersoliste de pouvoir aller glaner de l’expérience, faire des rencontres musicales à l’extérieur (mon emploi du temps est moins chargé que celui des autres membres de l’orchestre, et puis nous sommes deux), cela permet de ramener « à la maison », à son orchestre, ses connaissances, ses informations. Ainsi j’ai joué au Carnegie Hall de New York. Récemment j’étais en Roumanie, où j’ai participé au deuxième plus important Festival du pays après le Georges Enescu Festival. J’ai joué dans le cadre de « Vară Magică » (L’été Magique). Le concert était retransmis par la plus grande chaîne de télévision nationale et s’est déroulé dans la plus prestigieuse salle de concert de Bucarest : L’Athénéum Romain ; le 15 octobre dernier j’ai donné un concert de musique de chambre dans la Salle Franz Liszt du Conservatoire de Musique de Genève.
Le Canada à l’honneur en Principauté de Monaco
VLR : En cette saison 2021-2022, invité de la Principauté, le Canada est à l’honneur, cela doit vous toucher tout particulièrement…
David Lefèvre : Nous avons ouvert la saison, le samedi 18 septembre, par le Gala des Amis de l’orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, donné avec le soutien du Gouvernement du Québec, concert auquel j’ai participé avec le concert pour violon, piano et quatuor à cordes, opus 21 d’Ernest Chausson avec le grand pianiste Franco-Canadien : Louis Lortie. Le 23 octobre, dans le cadre de la grande saison symphonique nous avons célébré l’âge d’or du Baroque II, un concert avec le soutien du Gouvernement du Québec, invités : le Chef d’orchestre Bernard Labadie et le flûtiste Emmanuel Pahud.
VLR : Vous êtes en pleine répétitions, et vous m’avez offert une heure de votre temps précieux, heure que je n’ai pas vu passer… Votre conclusion David Lefèvre ?
David Lefèvre : Je dirai que les choses les plus banales sont les plus fortes, combien dire je t’aime est tellement important, que sans musique la vie est une erreur, je parle de toutes les musiques, je parle de l’art en général. La vie sans art est une erreur, qui plus est à l’heure actuelle, à l’heure des réseaux sociaux, des écrans qui se multiplient. Je suis triste parfois de voir de jeunes violonistes qui ne connaissent pas le répertoire de leur instrument, aussi je dis toujours à mes élèves, soyez curieux, travaillez, travaillez mais « Ayez une vie sociale, ayez des copains, faites le fête ». J’en profite pour dire que durant cette période de pandémie si difficile à vivre que l’orchestre Philharmonique de Monte-Carlo n’a jamais arrêté de jouer en public. Nous avons même joué avec 100 musiciens sur la scène… Nous avons été là, pour apporter du bonheur au public, nous avons pu régler les quelques cas isolés, j’ai été très fier de Monte-Carlo, de la politique de la Principauté, l’Opéra, les Ballets ont suivi. Je suis très très fier de cela. En conclusion notre rôle est capital nous diffusons des messages d’amour, nous réunissons les hommes dans une salle de concert avec un message simple, un message d’amour…
Photo à la Une : ©Humberto Santos