- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 10 min
Clara Schumann, compositrice et musicienne romantique, en quelques notes
Clara Schumann, de l’enfant prodige à la musicienne romantique, femme amoureuse et mère de huit enfants, fait partie du top 5 des femmes interprètes et compositrices les plus connues. Parcours d’une femme moderne du 19ème siècle, en quelques notes
De Clara Joséphine Wieck à Clara Schumann, la vie d'une femme, compositrice et musicienne romantique.
Être femme et musicienne
Femme, épouse amoureuse, mère de famille nombreuse, virtuose réputée et recherchée, compositrice et romantique, ce sont les positions que Clara Wieck, mariée à Robert Schumann, a réussi à faire tenir ensemble pendant les 76 ans de sa vie dans un XIXe siècle allemand rêvant d’unité.
Clara Schumann fait partie du top 5 des femmes interprètes et compositrices les plus connues. Même si les femmes musiciennes remarquables sont beaucoup plus nombreuses que celles que la mémoire collective en a retenu, il n’en demeure pas moins qu’être femme et musicienne de concert sont deux qualités difficiles à conjuguer à l’époque que vit Clara, sauf à être chanteuse ou pianiste. Clara fut en son siècle, on le sait, considérée comme l’une des plus grandes pianistes romantiques. On a oublié longtemps quelle fut aussi, comme Fanny Mendelssohn, une compositrice de talent. Cela vient sans doute pour l’une de sa proximité avec son mari Robert Schumann et pour l’autre de sa parenté avec son frère Félix Mendelssohn, mais aussi du rôle de la femme tel que la morale sociale, issue des conceptions religieuses dominantes de l’époque, le prescrit.
Trois hommes ont contribué à construire la vie de Clara : son père Friedrich Wieck, Robert Schumann son mari, et Johannes Brahms son ami et son presque fils.
Clara Wieck 1819-1840
Une prodigieuse enfant non prodige
Clara Wieck naît en 1819 à Leipzig, une ville commerçante et intellectuelle dont Schumann disait que son aristocratie se composait de ses cent cinquante librairies, ses cinquante imprimeries et ses trente journaux. Une ville musicienne aussi, celle où Telemann étudia, celle dont Jean-Sébastien Bach fut le maître de chapelle, celle de Wagner et de Félix Mendelssohn.
Dans le milieu familial de Clara, on est musicien. Sa mère, Marianne Tromlitz, est chanteuse et pianiste, elle-même issue d’une lignée de musiciens. Clara raconte : « mes parents étaient très occupés à enseigner et à jouer du piano. J'étais principalement confiée à la femme de chambre, Johanna Strobel. Elle ne parlait pas très bien, et il se pourrait bien que ce soit la raison pour laquelle jusqu'à quatre-cinq ans je n'ai pas commencé à prononcer même des mots simples. Mais j'avais toujours été habituée à entendre beaucoup de piano et mon oreille est devenue plus sensible aux sons musicaux qu'à ceux des discours. »
Ses parents divorcent quand elle a cinq ans, et elle sera élevée par son père Friedrich Wieck. Le père Wieck tient une bibliothèque de prêt musical et exploite une petite entreprise de pianos mais surtout c’est un professeur de piano de très grande renommée. De sa fille, qui montre très tôt des dons de musicienne, il veut faire une virtuose. L’académicien Marcel Brion, auteur de la première préface du journal intime de Robert et Clara Schumann écrit que le père de Clara Wieck avait fabriqué sa fille comme il fabriquait ses pianos, « il en avait fait un merveilleux instrument de musique ».
Mais contrairement aux parents qui forcent le talent de leur enfant pour en faire des phénomènes de précocité, Friedrich Wieck, que Chopin tenait pour un « allemand borné », applique une méthode pédagogique ouverte qui contraste avec le caractère d’homme intraitable et tyrannique qu’on lui prête généralement. C’est un lecteur de Rousseau et de Pestalozzi et, pour lui, il faut donner toute sa place aux individualités des élèves pour leur faire connaître le plaisir de faire de la musique. Sa méthode d’enseignement est décrite dans son ouvrage Piano et Chanson : comment enseigner, comment apprendre, comment juger les performances musicales ? Certes la discipline veut que, chaque jour, l’élève consacre un temps aux exercices d’assouplissement, mais de manière limitée, en s’ouvrant également aux autres instruments et à la théorie de la composition, en équilibrant sa vie physique et intellectuelle par de longues promenades au grand air !
Une des plus grandes pianistes du 19e siècle
Le 19e siècle est manifestement le grand siècle du piano et Clara Wieck est surnommée « la Paganini » de cet instrument, ce même Paganini qui dira d’elle : « Elle a la vocation de l’art parce qu’elle en a le sentiment ».
C’est à l’âge de 6 ans qu’elle donne son premier concert et remporte son premier succès. À 9 ans, elle joue au célèbre Gewandhaus de Leipzig, et fait ses débuts de concertiste à 11 ans en 1830, lorsque, avec son père elle parcourt les grandes villes d’Europe pour une grande tournée de concerts notamment à Paris où Niccolò Paganini, présent au même moment dans la capitale, lui propose de jouer avec lui. Elle à l’occasion de rencontrer Mendelssohn, Liszt, Chopin dans la ville qu’on appelait alors « Pianopolis ». À 16 ans, elle est une pianiste renommée. À 19 ans, elle reçoit la plus haute distinction musicale autrichienne pianiste comme « virtuose à la cour d'Autriche », et est élue membre de la Société philharmonique de Vienne.
Une compositrice de talent
En même temps Clara compose. C’est elle qui écrit en 1853 : « il n'est rien que je place au-dessus de la joie de produire et même si on ne le faisait que pour les heures de l'oubli de soi où l'on ne respire plus que par les sons »
À 11 ans, à l’époque où elle rencontre Robert Schumann, elle écrit sa première pièce, « Quatre Polonaises pour le pianoforte ». Le catalogue de ses œuvres compte plus d’une cinquantaine de pièces. On lui doit un concerto pour piano et orchestre, des pages pour piano, de la musique de chambre et un certain nombre de lieder. On dit parfois que sans avoir le génie de Robert, Clara était une compositrice de talent. Mais il faut ajouter que leur vie artistique est à ce point fusionnelle que souvent on ne sait pas qui de Robert ou de Clara est le compositeur de telle ou telle œuvre.
Toutefois sa correspondance exprime cette difficulté à concilier sa condition de femme et son travail de compositrice : « Il fut un temps, dit-elle, où je croyais posséder un talent créateur mais je suis revenue de cette idée. Une femme ne doit pas prétendre composer. Aucune encore n'a été capable de le faire, pourquoi serais- je une exception ? Il serait arrogant de croire cela, c’est une impression que seul mon père m’a autrefois donnée. »
Clara Schumann 1840-1856
L'amoureuse
Très jeune, elle rencontre celui qui deviendra ensuite son époux, Robert Schumann, alors élève de son père. Entre eux, c’est l’histoire d’un amour fou, dont la passion a été mise en scène dans des films comme « Song of love » (1947) de l’américain Clarence Brown avec Katharine Hepburn ou « Clara » (2007), un film de l’allemande Helma Sanders-Brahms.
L’opposition irréductible du père Wieck
Quand Clara atteint ses 18 ans, Robert la demande en mariage, mais Friedrich Wieck s'y oppose violemment, interdisant toute correspondance entre les amoureux, allant jusqu’à calomnier Robert et à le menacer de mort. Incontestablement, Clara est plus célèbre que Robert et le père Wieck veut un autre avenir pour sa fille qu’une union avec un musicien pauvre et peu connu. Clara et Robert doivent attendre trois ans et une décision de justice prise en septembre 1840 pour enfin se marier ! Elle a 21 ans et Robert 30.
Clara Schumann, l'épouse, la mère et la muse
Ils vivront mariés pendant 16 ans. Inspiratrice de Robert Schumann, sa deuxième vie est d’abord une existence de mère et d’épouse. Elle met au monde huit enfants entre 1841 et 1854, Marie, Elise, Julie, Emil, Ludwig, Ferdinand, Eugenie et Felix, plus d’un tous les deux ans. Quatre enfants sont mort jeunes, et l’un d’entre eux fut interné en psychiatrie pendant quarante ans. Son mari, d’une santé psychique fragile, est le génie instable qui a besoin de silence pour composer. On se doute qu’une telle situation avec ses joies, ses difficultés et ses drames n’était pas celle qui favorisait le plus la concentration et le calme nécessaire à la création musicale.
Robert Schumann meurt en 1856, après une aggravation de ses troubles mentaux qui l’avait conduit deux auparavant à se jeter dans le Rhin.
Clara Wieck-Schumann 1856-1896
Clara Wieck-Schumann survivra quarante ans à Robert
Brahms (1833-1897), son ami indéfectible
Le couple Schumann avait apprécié le talent de Johannes Brahms lorsqu’il avait reçu en 1853 ce jeune musicien inconnu d’à peine 20 ans. C’est une amitié profonde qui liera Johannes et Clara jusqu’à la mort de Clara – et même beaucoup plus pour Brahms qui en était tombé amoureux. Clara a créé la plupart des oeuvres de Brahms. Grâce à lui et quelques amis, elle fait éditer les œuvres complètes de Robert. Quelqu’ait été la distance de leurs relations, ils n’ont jamais cessé de correspondre.
La reprise de la carrière de virtuose
Même si Brahms l’a particulièrement soutenue à la mort de Robert Schumann, Clara dit avoir perdu le bonheur de sa vie. Elle reprend sa carrière de concertiste avec frénésie et enchaîne tournée sur tournée en Europe et en Russie. Elle donne son dernier concert public à 72 ans et, professeur au Conservatoire, elle continue à enseigner jusqu'à sa mort.
À 76 ans, le 20 mai 1896, après une vie de lumière et d’épreuves, elle quitte notre monde en écoutant, dit-on, son petit-fils interpréter une œuvre de Robert.
Clara Schumann aujourd'hui
Oubliée pendant un temps, elle a été redécouverte par des études féministes (américaines..) dans les années 80. A vrai dire, elle n'était pas féministe au sens moderne du terme. Aussi remarquables qu'aient été ses qualités professionnelles d’interprète et de créatrice, elle ne revendiquait pas pour autant une égalité de statut avec les hommes, assumant son rôle de femme tel qu'on le concevait à l'époque.
« Clara », une base de donnés autour de la création musicale féminine
« Clara » aujourd’hui est le nom d’une base de connaissances centrée sur la création musicale féminine, et le nom de celle dont on a fêté l’année dernière le 200e anniversaire de sa naissance. Pour Claire Bodin, claveciniste, directrice du festival "Présences féminines" et initiatrice du projet « Clara », cette femme représente parfaitement ces compositrices dont le travail a été occulté par leurs contemporains masculins.
La base de données qui recense les compositrices de 1618 à 2020, est un moyen de faire connaître ces compositrices et leurs œuvres non seulement au grand public mais surtout aux musiciens et aux programmateurs de concerts, afin que ces œuvres soient enfin plus jouées.
C’est sans doute le meilleur hommage qu’on puisse rendre à celle qu’un journaliste de l’époque appelait « le lion musical du moment, le Thalberg féminin du piano ».