Publié le 22/11/2023

Une autre histoire du monde, au Mucem

L’exposition ‘Une autre histoire du monde’, au Mucem du 8 novembre 2023 au 11 mars 2024, interroge sur notre manière d’écrire et de lire l’Histoire ; une autre histoire du monde où l’Europe et l’Occident ne seraient plus au centre du monde, laissant place à d’autres récits.

La Vraie Carte du monde. Cheri Samba 1956 - exposition histoire Mucem 2023_2024

La Vraie Carte du monde. Chéri Samba (né en 1956). 2011. Acrylique et paillettes sur toile. Collection fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris © Galerie MAGNIN-A, photo : Florian Kleinefenn

Quand la culture matérielle invite à inverser les perspectives  ... Une autre histoire du monde, l'expo 2023-2024 à voir au Mucem jusqu'au 11 mars. Un autre regard sur l'Histoire du monde grâce aux 150 œuvres exposées, où l’Europe et l’Occident ne seraient plus au centre du monde, laissant place à d’autres récits.  Commissaires d'exposition : Pierre Singaravélou - Fabrice Argounès - Camille Faucourt

Une autre histoire du monde, Exposition au Mucem novembre 2023 - mars 2024

Rebattre les cartes du monde

Réflexion, remise en cause, cette exposition ouvre de nouvelles voies à la compréhension de l’histoire mondiale. Pierre Singaravélou, Historien spécialiste des empires coloniaux et de la mondialisation, professeur au King’s College de Londres et à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, s’est entouré de Fabrice Argounès, Géographe spécialiste d’Histoire des savoirs cartographiques et géopolitiques, enseignant à l’Université de Rouen et commissaire d’exposition et de Camille Faucourt, Conservatrice, responsable au MUCEM du pôle Mobilités et Métissages pour cette exposition didactique hors du commun. 

Empire des Indes, sous le Raj britannique (1858-1947), actuel état de Gujarat, Inde. © BnF

Inverser la perspective de l'Histoire du monde

Après avoir exposé en 2018,  toujours au Mucem, sur le thème de la colonisation, Pierre Singaravélou pensait qu’il était plus intéressant d’inverser la perspective et de s’intéresser à la manière dont ces autres populations aux quatre coins du monde avaient écrit leur histoire ; comment ils se représentaient leur propre rapport au monde. Ne pas, encore une fois, travailler sur la colonisation d’un point de vue de l’Europe, mais décentrer le rapport en réorganisant ‘Une autre Histoire du monde’.

Diversité de rapport au temps, à l’espace

Sept chapitres qui, tous, racontent une série d’histoires et suggèrent des questions denses et importantes, racontée depuis le 13e siècle jusqu’à nos jours.

Chaque société a inventé sa propre manière de raconter l’histoire en raison de leur propre rapport au temps, leur rapport au passé, au présent, au futur.

Le rapport au temps

Leurs calendriers démontrent que chaque société possède sa façon de compter le temps. Des sociétés utilisent le soleil, d’autres la lune, d’autres les dynasties comme les Japonais et les Chinois. Il existe une grande diversité de rapport au temps. L’exposition montre comment chaque société est agencée sur le temps. 

Le rapport à l’espace

Il existe également une grande diversité de rapport à l’espace, à la manière de se représenter l’espace, de cartographier l’espace. On découvre que l’Europe n’a pas le monopole de la mondialisation et, qu’en fait, il y a eu d’autres formes de mondialisation avant cette colonisation européenne. Par exemple, mondialisation à travers l’expansion des Mongols qui viennent du Nord-Est de l’Asie et vont étendre leur influence de la Corée jusqu’en Europe de l’Est, mondialisation dans l’Océan indien par les marchands arabes, indiens, javanais, chinois etc. Ces mondialisations, ces échanges, ces interactions au sein desquels les européens sont marginaux ou absents se racontent à travers toute une série d’œuvres d’art, d’objets. L’Europe n’est pas, de tout temps, au cœur du jeu des échanges. 

© Julie Cohen, Mucem

Les altérités

L’Europe n’a pas le monopole de l’exotisme et de l’orientalisme. Toutes les populations du monde produisent des représentations des autres. En inversant le regard, on s’aperçoit que les Chinois, les Indiens, les populations africaines, arabes etc. produisent des occidentalismes, c’est-à-dire des représentations de l’Europe et des Européens. Il faut s’intéresser à cela pour savoir comment ces populations ont perçu le reste du monde, ont perçu l’Europe. L’exposition s’intéresse ensuite à la période coloniale elle-même et comment les populations aux quatre coins du monde ont résisté à cette colonisation à travers l’art, à travers des objets. 

La réécriture contemporaine de l’histoire

« Chaque présent pose des questions différentes au passé. »

Dernière séquence, la réécriture contemporaine de l’histoire. On le voit à travers le cinéma, l’art contemporain etc., c’est un processus continu. Cette histoire est écrite, réécrite, parce que chaque présent pose des questions différentes au passé. Cela vaut pour tous les pays. Dans chaque région du monde existent des récits nationaux où la propre histoire est réinventée avec des héros glorifiés. 

Une histoire du monde plus accessible grâce aux objets

Pour la première fois au monde, une exposition prend ce thème pour objet principal. Cette histoire devient alors plus accessible en utilisant la culture matérielle. La manière la plus évidente de discuter, d’échanger avec le grand public, c’est la culture matérielle, ce sont les objets de la vie quotidienne, les manuscrits, les œuvres d’art, les cartes… Ce sont ces objets qui illustrent le mieux ces phénomènes complexes. 

© Julie Cohen, Mucem

La mondialisation

On croit à tort que c’est quelque chose de récent et que l’Europe  est le principal moteur  de la mondialisation, aujourd’hui encore. Il suffit d’observer ces petits coquillages qui étaient la principale monnaie d’échange de certains peuples pour acheter des esclaves africains, pour commercer en Afrique, dans l’Océan indien… pour mieux comprendre la mondialisation. Un petit objet permet de comprendre un phénomène complexe et cela une exposition et un musée sont seuls capables de donner à voir ces phénomènes-là de la manière la plus simple qui soit en permettant de s’adresser même à un public qui n’a pas de bagage historique, à un enfant de 8 ans comme à un sénior de 80 ans qui n’aurait pas de connaissance sur ces régions du monde. 

Une scénographie pour susciter la réflexion

Beaucoup de travail avec l’agence bruxelloise de scénographie Kascen. A la fois très élégante et très surprenante, l’exposition regorge de tout un tas de dispositifs inventifs qui ont parfois vocation à dérouter le visiteur pour qu’il s’interroge. Il s’agit d’une autre histoire du monde ; il s’agit d’appréhender l’étrangeté de ces récits, de ces formes, de ces créations artistiques, de ces pratiques culturelles. Il ne s’agit pas de tout niveler. La scénographie doit restituer ce foisonnement. Il ne s’agit pas d’imposer un autre récit. Il s’agit de proposer une forme d’interprétation à partir d’œuvres authentiques. Ce n’est pas une exposition exhaustive mais elle ouvre des pistes, suscite la réflexion et donne envie à d’autres musées de prolonger cette réflexions à travers d’autres expositions. 

S’affranchir de la vision européo centrée 

Le vieux continent n’a pas joué le rôle majeur, le rôle moteur de cette histoire, c’est une vision qui ne correspond pas à la réalité. L’histoire aux 17e et 18e  siècles de  la France de Louis XIV et le siècle d’or de Philippe 2 en Espagne, que l’on étudie en détail dans les collèges et les lycées, relève simplement du complot. C’est comme cela qu’on enseignait l’histoire. Selon un critère mondial objectif, celui de l’économie, les deux plus grandes puissances mondiales aux 17e et 18e siècles étaient l’Inde des Mogols et la Chine des Chins. Pas un mot dans les livres de collège et de lycée jusqu’à la fin du 20e siècle sur ces deux empires. Il faut raconter l’histoire du monde en intégrant le reste du monde, s’affranchir de cette vision européo centrée. 

© Julie Cohen, Mucem

La Muse Clio ‘enseigne’ l’histoire aux populations étrangères

Le  tableau  monumental d’Alexandre Véron-Bellecourt datant de 1802 ouvre l’exposition. La Muse de l'Histoire, Clio, apprend l’histoire aux peuples du monde en rappelant les hauts faits de Napoléon, avec, en arrière-plan, le musée du Louvre qui se veut être, depuis 1794, le conservatoire de cette grande histoire universelle écrite par la France et l’Europe. Ce tableau illustre notre manière de voir l’histoire jusqu’à la fin du 20e siècle en France et dans tout le monde occidental. 

La ‘vraie’ carte du monde, un geste politique fort

Les artistes sont souvent en avance sur leur temps. En regard du tableau d'Alexandre Véron-Bellecourt, celui d'un artiste contemporain congolais, Chéri Samba, intitulé "La vraie carte du monde’. L’artiste propose une critique de nos représentations cartographiques. La géographie a toujours accompagné l’histoire dans ce grand discours de l’Europe sur elle-même. La projection de Mercator surévaluait la superficie de l’Europe par rapport notamment à la superficie de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Chéri Samba utilise une autre projection plus réaliste et montre que l’Afrique, en réalité, est bien plus grande que l’Europe ; c’est la projection de Peters, adoptée depuis par l’Unesco et d’autres organisations internationales afin de mieux rendre compte de la place de chaque continent. De plus, Chéri Samba inverse le nord et le sud, un geste politique extrêmement fort. C’est un choix qui n’est pas anodin. Il renverse la carte et se représente lui-même au centre de la carte. 

Sortir de nos habitudes temporelles, repenser le passé pour mieux comprendre le présent et sans-doute mieux envisager l’avenir, c’est ce que propose cette magnifique exposition du Mucem, à voir absolument. 

Renseignement - Billetterie exposition Une autre histoire du monde au Mucem

Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée
Esplanade du J4 13001 Marseille
+33 (0)4 84 35 13 13

L'exposition Une autre histoire du monde est à voir au Mucem jusqu'au 11 mars 2024

Horaires d'ouverture du MUCEM : tous les jours de 10h à 19h sauf le mardi.

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