‘Résonances’ En écho à l’Art et à la Science pour capter l’énergie du soleil
La commune de la Roque d’Anthéron, jumelée avec Asciano en Toscane, a un lien privilégié avec le fonds de dotation ‘Résonances’ qui a décidé, en écho au “Site Transitoire” situé sur la Commune de Sienne en Italie et au programme ITER en Provence, d’ériger une sculpture monumentale de l’artiste Jean-Paul Philippe à l’été 2022. Rencontre avec Bernard Bigot, directeur général d’ITER Organization et premier président du fonds de dotation, convaincu que “l’Art est essentiel à la Science”.
Le Parc des Adrechs où sera installée l’œuvre monumentale « Résonances » est situé à proximité de l’itinéraire routier qui va de Berre-l’Etang à Saint-Paul-lez-Durance et permet de transporter depuis le port de Marseille/Fos les éléments de taille exceptionnelle en provenance des 35 pays partenaires et destinés à la machine ITER. Situé à l’entrée de la ville, en venant d’Avignon, la sculpture sera positionnée à l’autre extrémité de la ville par rapport à l’Abbaye de Silvacane, exceptionnel élément du patrimoine architectural qui témoigne de l’art de la sculpture à travers l’histoire.
Résonances, quand l'art fait écho à la science
L’œuvre sculptée dans la pierre toscane, sera à la fois orientée en direction de l’Italie et tournée vers le site ITER. Alliant art et science, l’œuvre appelée ‘Résonances’, d’où l’appellation du fonds de dotation, est conçue pour réfléchir vers le ciel les rayons du soleil en direction de la machine ITER à certaines dates symboliques de l’année.
Le Tokamak d'ITER
Iter, ‘chemin en latin’ construit une machine expérimentale conçue pour démontrer la faisabilité scientifique et technique de l’énergie de fusion. La machine Tokamak, en fonction dès 2025, sera la plus grande installation de ce type au monde.
La sculpture de Jean-Paul Philippe : une émotion artistique
Né en France, c’est en Italie, à Sienne, que le sculpteur sur pierre Jean-Paul Philippe, a installé son œuvre emblématique ‘Site Transitoire’. ‘Résonances’ viendra sceller l’union fraternelle entre les deux villes jumelées, la Roque d’Anthéron et Asciano, entre la France et l’Italie, entre l’Art et la Science. A un moment clé où réchauffement climatique, disparition des espèces, peur des virus, hante notre civilisation, ce projet, symbolisé par ces blocs sculptés, porte, en quelque sorte, l’espoir d’une humanité confiante en l’avenir.
Rencontre avec Bernard Bigot, directeur général d'ITER Organization et premier président du fonds de dotation
Bernard Bigot : Si vous vous intéressez à ce projet, je ne peux que m'en réjouir car il faut que le territoire se l'approprie. Ce n'est pas le projet de quelque mécène, ou de quelque responsable; 'Résonances' est un projet qui est ressenti comme une valorisation du territoire et de l'histoire à laquelle il est attaché, et il est associé avec le projet ITER.
Comme vous le savez, ce projet est né du jour où le maire de La Roque d'Anthéron, Monsieur Jean-Pierre Serrus, est venu me voir avec le sculpteur Jean-Paul Philippe en me disant : "Voilà, nous avons un projet en gestation depuis un certain temps, qui est d'essayer de créer un monument qui associera à la fois la ville de La Roque d'Anthéron dans sa relation avec l'Italie, dans la mesure où elle a cette relation privilégiée avec la ville d'Asciano, et d'autre part avec le projet ITER. Je me suis permis d'amener Monsieur Philippe sur le site, est-ce que vous pouvez nous aider ?"
Marie-Céline Solérieu / Projecteurtv : Comment avez-vous réagi sur cette relation entre l'art et le milieu industriel d'ITER ?
Capter l'énergie du soleil
Bernard Bigot : Monsieur Philippe était venu avec un petit croquis, en m'expliquant qu'il voyait une colonne qui, à son sommet, serait capable de capter l'énergie du soleil. Moi, je n'ai pas passé beaucoup de temps à réfléchir (rires). Quand quelqu'un vient me voir pour un projet qui me semble répondre à ce que je souhaite, non pas pour le projet ITER mais à titre personnel dans mon activité - c'est à dire faire que les gens puissent créer ensemble des choses innovantes, marquantes, susceptibles de parler à une large population - ça m'intéresse. Le premier réflexe qui a été le leur a été de demander si de l'argent était disponible au titre d'ITER. Je leur ai dit non, que ça c'était impossible. Les moyens financiers que les membres ITER donnent à l'organisation sont exclusivement destinés à la mission qui est la nôtre. Je ne voyais donc qu'une solution, qui était de faire appel à des mécènes.
Donc, vous avez créé ce fond de dotation 'Résonances'?
Une réplique sur le site d'ITER en relation avec l'Italie et l'Abbaye de Silvacane, la collecte de l'énergie, la Provence
Bernard Bigot : Ça a été un peu plus compliqué que cela. Parce que, initialement, je pensais que le plus simple serait de créer une petite fondation, ou de s'appuyer sur une fondation existante. Je suis personnellement président de deux fondations, et je sais que c'est un modèle bien adapté pour collecter des fonds privés de manière sécurisée. On pensait que la Fondation de France serait prête à s'inscrire dans cette dynamique, mais en fait elle a expliqué que le projet ne correspondait pas à ce qu'ils avaient envie de faire. C'est là où, avec mes collaborateurs, en particulier du service juridique, on a constaté qu'il existait l'option du fond de dotation, qui revenait à créer une association spécifiquement dédiée à la collecte des fonds. Entre temps, le projet a muri (car c'est en 2016 que le maire de la Roque d'Anthéron et Monsieur Jean-Paul Philippe sont venus pour la première fois). Monsieur Jean-Pierre Serrus avait besoin de temps pour convaincre les gens qu'un tel monument pouvait être accueilli sur la commune. Mais surtout, il y a eu une nouvelle impulsion le jour où Monsieur Philippe est revenu, en me disant qu'il était vraiment séduit par l'idée d'un monument en relation avec l'Italie, avec l'Abbaye de Silvacane et avec le projet ITER, la collecte de l'énergie, la Provence. Il pensait qu'on devait envisager d'avoir d'une part le monument sur le site de La Roque d'Anthéron, au bord de l'itinéraire de transport des charges lourdes, mais d'avoir aussi une "réplique", une reproduction de ce même monument sur le site. Donc on a parcouru le site ensemble afin que Monsieur Philippe ressente où la réplique pourrait être placée. La logique aurait été de la placer à proximité de l'entrée principale, de l'entrée officielle, mais il ne le ressentait pas de cette manière. En continuant notre marche sur le reste du site, je lui ai proposé une autre piste à l'entrée extrême, juste en face de l'allée du Château. Il a trouvé l'endroit parfait, car quand les gens viennent à ITER, ils arrivent plutôt par l'autoroute, et donc par cette voie, plutôt que par Vinon-sur-Verdon. Monsieur Philippe m'a dit "Voilà, ça fera une sentinelle, qui marquera le site, son histoire, et en plus je peux orienter le monument pour qu'il se dirige vers La Roque d'Anthéron et dans la direction du tokamak."
Comme le monument de La Roque d'Anthéron arbore ce réceptacle de l’énergie solaire à son sommet qui devrait renvoyer le rayon de la lumière, notamment au moment du solstice d'été, dans la direction de Cadarache, et bien la lumière sera également reprise, de manière symbolique, par la réplique.
C'est extraordinaire, parce que vous créez des répliques, des reproductions in situ, et en même temps il y a des connexions qui résonnent ...
Résonances, l'écho entre l'histoire du passé et l'avenir
Bernard Bigot : C'est comme cela qu'on a trouvé le nom "résonances". Tout résonne, d'une certaine manière, entre l'histoire de La Roque d'Anthéron, son Abbaye, avec l'environnement, les différents artistes comme Albert Camus, enterré à quelques encablures de là, le peintre Cézanne. "Résonances" entre ces différentes facettes, de la vie à la fois locale, de son histoire, de son avenir.
Vous avez donc choisi ces emplacements, que ce soit sur le site d'ITER ou au parc des Adrechs, à des endroits assez stratégiques.
Bernard Bigot : Oui, assez symboliques en même temps. L'idée que j'ai eu de ce monument colonne, qui en même temps a comme vocation d'assembler les sept membres ITER - car il y a un empilement de sept blocs de pierre qui pourrait représenter chacun d'entre eux - et le partenariat qu'ils ont accepté de faire ensemble. Cette colonne, je la vois comme une vigie, comme quelque chose qui d'une certaine manière éclaire l'avenir, qui constate ce qui se passe à proximité du canal de Provence, canal qui est le symbole même de la vie en Provence. Et puis à proximité de ce qu'on appelle l'entrée A, ce sera la porte d'entrée, l'invitation à chacun de venir constater ce qui est en train de se dérouler, avec les défis associés et je l'espère la réussite qui sera au rendez-vous à la fin.
Autour de l'eau, de la lumière, du soleil, de l'énergie, de la terre, en fait vous rassemblez les éléments.
Bernard Bigot : Absolument. Ici, nous avons besoin de l'énergie, de celle qui assure la puissance des astres, mais nous avons besoin d'eau, c'est pour cela d'ailleurs que nous utilisons l'eau du canal de Provence, qui est là, et puis ce territoire est symbolique, à proximité de la confluence du Verdon et de la Durance. C'est de tout cela dont nous sommes porteurs.
Donc aujourd'hui, le fond de dotation est créé. Les premières dotations ont eu lieu, on espère que le calendrier que nous nous sommes donné sera respecté. Normalement, Monsieur Philippe doit venir cette semaine sur le site, car lorsqu'il crée une œuvre, il a besoin de sentir le site. Il va passer deux ou trois jours, y compris la nuit, afin de sentir comment, aux différentes heures de la journée, le monument évoluera dans son environnement de lumière, de bruits, d'odeurs. Ensuite, il viendra ici brièvement avant de rejoindre les carrières autour du 15 juin. Normalement, ce sera le début du projet quand on commencera à découper les blocs dont il aura choisi la texture, la forme qui lui semble la plus approprié.
L'objectif, c'est d'avoir le monument de La Roque d'Anthéron en place à l'été 2022.
Été 2022 pour la La Roque d'Anthéron, et sur le site d'ITER ?
Bernard Bigot : Quelques mois plus tard. Pour moi ce n'est pas la priorité ici. Une fois que l'un d'entre eux aura été installé, ce ne sera plus qu'une question de quelques semaines.
Vous avez beaucoup parlé du fait que l'art était essentiel à la science.
Bernard Bigot : Essentiel à la vie, déjà ! L'Homme a besoin de sens, de cadre dans lequel il peut retrouver ses interrogations fondamentales, dans lequel il peut véritablement dialoguer avec tous ceux qui portent les mêmes interrogations, les mêmes questions, non seulement avec son intelligence, mais aussi avec sa sensibilité. Ce qui m'a toujours frappé, c'est que les scientifiques, souvent, sont également des artistes, ou au moins sont sensibles à l'art, et souvent exercent même l'art. Ce qui m'avait frappé, quand j'étais directeur de l’École Normale Supérieure de Lyon, qu'on a créé de toutes pièces, c'est la première chose que m'ont demandé les élèves : un piano. Pas un piano de bar, ils voulaient le mieux. En fait, j'ai constaté que beaucoup d'entre eux jouaient remarquablement. Il fallait organiser la liste des disponibilités du piano, pour que chaque personne qui ait envie d'y jouer puisse le faire. Je trouve que c'est illustratif du fait que, quand on est un scientifique, par nature, c'est le doute, c'est le questionnement. C'est la quête du "savoir plus loin", etc. Je trouve que c'est un écho à la démarche artistique, où, avec le jeu de la matière, des phénomènes physiques, on va s'exprimer, parler de l'indicible, de ce que l'on ne sait pas dire. Quand il y a eu ce projet, même si j'étais plutôt concentré sur la fabrication des différents composants, j'ai trouvé qu'ils m'offraient une opportunité de participer à cette soif des scientifiques d'aller au-delà de la simple matière qu'ils manipulent et qu'ils essaient de mettre en forme.
Rien de grand n'est fait si on est impatient
J'espère d'abord que cette œuvre s'inscrira dans la durée. Pour moi, rien de grand n'est fait si on est impatient. Donc, l'idée que cette œuvre, simple, pure, pourra parler à des gens dans quelques siècles de ce qu'il s'est passé sur ce territoire, à un moment, m'anime. L'idée que quelques personnes trouvent approprié de marquer, sous cette forme-là, l'esprit de coopération, de collaboration qui était le leur pour essayer de mettre au point un mode nouveau de production de l'énergie, s'inspirant des modes les plus naturels qui existent depuis des milliards d'années. Ce qui m'intéresse, c'est que chacun puisse trouver là une occasion de réfléchir à cette nécessaire patience, cette nécessaire durée, et en même temps la nécessaire vision qui est indispensable pour que les choses avancent. Ce qui m'intéresse, ce sont aussi les échos avec le passé. L'idée qu'on dise : "Cette colonne, qui essaie de marquer le futur de la production énergétique mondiale, est enracinée dans la base de l'Abbaye de Silvacane qui fût construite au XIIIème siècle. Si vous voulez, c'est ce lien à travers les préoccupations des Hommes qui m'apparait intéressant dans l'idée de ce monument, que je trouve relativement simple, qui devrait parler à tout le monde. Cette colonne montre que rien n'aurait été possible si ces sept partenaires, qui avaient toutes les bonnes raisons de ne pas s'entendre, n'avaient pas réussi à le faire, je trouve que c'est inspirant pour tous ceux qui auront l'occasion de venir visiter ou de voir des images de ce monument.
L'art rassemble ?
Oui, l'art rassemble. L'art ouvre débat. Une œuvre d'art ne parle pas à tout le monde de la même façon, et comme vous le savez il y a souvent des polémiques, douloureuses, j'aime/j'aime pas, c'est beau/c'est pas beau, mais ça ne fait rien, ce débat est constructeur, fondateur d'une relation. Le temps court, donc on essaie de tout réaliser assez vite. Monsieur Jean-Paul Philippe a 77 ans. Après une gestation de quelques années, maintenant que la décision est prise, il faut avancer.
L'objectif c'est que ce projet soit le projet de ceux qui ont envie de participer à un monument qui marque les fameuses résonances que nous avons évoquées.
Vous semblez être un grand passionné d'art.
La peinture, la sculpture, la musique
J'ai eu la chance d'entrer à l’École Normale Supérieure. Et là, mes collègues étaient littéraires, c'était des philosophes, des musiciens. Dans l'échange que j'ai pu avoir avec eux, j'y ai pris goût. J'ai trois passions : la première est la peinture. J'ai passé mon temps quand j'étais jeune à peindre, y compris en allant dans les grands musées aux États-Unis, voir des Monet, des Cézanne, mais aussi des peintures plus classiques. La deuxième c'est la sculpture - que j'ai pratiqué, maintenant je n'ai plus beaucoup de temps - mais j'ai accumulé depuis peut être quinze ou vingt ans, du bois, pour pouvoir sculpter quand je serai à la retraite, si Dieu me donne le temps d'être à la retraite. Et la troisième, c'est la musique. Je suis autodidacte, je n'ai pas de formation spécifique. Je pense que tout le monde peut être autodidacte en matière d'art, il suffit d'avoir envie. On a la chance de pouvoir côtoyer les œuvres les plus extraordinaires. Je me souviens d'avoir passé des après-midi entières au Musée du Jeu de Paume, avec Les Nymphéas. C'est incroyable. La peinture vibre, j'ai l'impression qu'elle vibre.
Interview réalisée le 7 juin 2021 dans les bureaux de Monsieur Bernard Bigot sur le site d'ITER.
Informations pratiques sur le projet Résonances
monumentresonances.fr