- Auteur Isabelle de Montfumat
- Temps de lecture 10 min
Contemporaine de Nîmes : « Water Lines » avec Feda Wardak & Tadashi Kawanta, aux Jardins de la Fontaine
“Water Lines” de Feda Wardak & Tadashi Kawanta, une exposition temporaire à découvrir aux Jardins de la Fontaine jusqu’au 23 juin 2024, dans le cadre de la Contemporaine de Nîmes. Pour cette installation éphémère, le jeune artiste-architecte-chercheur franco-afghan Feda Wardak s’est associé au célèbre artiste-architecte japonais Tadashi Kawanta. Ensemble, ils ont conçu une fascinante “architecture de l’eau” qui sublime les Jardins de la Fontaine.
©Feda Wardak
"Water Lines" avec Feda Wardak & Tadashi Kawanta, une exposition temporaire à voir en ce moment aux Jardins de la Fontaine jusqu'au 23 juin 2024, dans le cadre de la Contemporaine de Nîmes.
La contemporaine de Nîmes
L’actualité artistique est marquée par le lancement de la première édition de « La Contemporaine de Nîmes ». Déployée sous la forme d’un parcours dans le centre-ville, musées, lieux culturels, sites patrimoniaux, espaces publics… Ce qui fait la spécificité de cette triennale, chacun de ces lieux rassemble un binôme intergénérationnel composé d’un artiste émergent et d’un artiste établi ou historique, ainsi que par l’implication des lycées ou établissements publics nîmois qui se sont associés à ses créations.
Feda Wardak, "Water Lines", les lignes de l'eau aux Jardins de la Fontaine à Nîmes
Les commissaires de la Triennale ont proposé à plusieurs artistes d’investir l’espace urbain, afin de créer une dynamique singulière dans les espaces publiques de la ville de Nîmes.
Pour cette installation éphémère, Feda Wardak, jeune artiste-constructeur franco-afghan a choisi pour binôme, le très connu Tadashi Kawanta artiste-architecte japonais. Tous deux ont réalisé pour l’occasion « Water Lines », une « architecture de l’eau » qui prend place dans les Jardins de la Fontaine, jusqu’au 23 juin 2024.
Leurs structures respectives en bois - un aqueduc par Feda Wardak, une gouttière aérienne pour Tadashi Kawanta - dessinent deux lignes aquatiques monumentales dans le paysage, en sortant l’eau de la Fontaine de son lit habituel et leur faisant vivre une aventure qui n’a rien de fonctionnelle. En effet, l’eau semble surgir d’ailleurs, dans une évocation à Nemausus, la source sacrée qui a donné le nom à la ville de Nîmes et autour de laquelle, elle fut fondée.
Feda Wardak & Tadashi Kawanta : Un duo magique qui se complète à merveille autour de la thématique de l’EAU
Pour cette aventure, Feda Wardak a choisi pour mentor Tadashi Kawanta, pour lequel il a une profonde admiration pour ses travaux et recherches qui lui ont permis de modifier sa vision, son travail et d’intégrer peu à peu le champ de l'art contemporain.
Nous vous proposons d’entrer dans ce monde singulier de cet artiste-architecte-chercheur qui s’empare de cette thématique de l’eau, point d’ancrage de tous ses projets
« Tadashi Kawanta, il y a une dizaine d’années, j’ai découvert son travail et avec quelques autres artistes, écrivains, réalisateurs… il a contribué à bouleverser ma pratique, passant de l’architecture vers autre chose… l’écriture, la mise scène chorégraphique, je construis des œuvres plastiques, des sculptures de paysage…c’est la capacité à faire des choses qui ne sont pas fonctionnelles, c’est-à-dire qui ne correspondent pas à un besoin physique du corps. J’avais aussi envie de travailler sur les questions d’émotions, de sensibilités, d’archives, de mémoires, de traumas…, non pas sur le plan physique, mais plutôt de toucher à des notions plus émotionnelles. »
Ainsi ces deux artistes-architectes-chercheurs ouvrent des pistes de réflexion sur la gestion et la transmission de cette ressource essentielle, ainsi que sur les techniques et ouvrages nécessaires à sa préservation, en rendant ainsi hommage aux savoir-faire et aux principes de construction ancestraux liés au transport de l’eau. Ici, ils reprennent la réplique quasi exacte du cintre en bois conçu pour l’occasion - par les Jeunes des Compagnons du Devoir de Nîmes - qui avait permis la construction de l’impressionnant aqueduc romain, daté du 1er Siècle, l’illustre « Pont du Gard ».
« Je ne souhaitais pas créer une œuvre à quatre mains, très vite, nous nous sommes acheminés à créer deux œuvres distinctes, qui dans leur écriture se connecterait » … « Le projet s’est construit à partir de l’idée d’interroger l’origine de l’eau dans une ville qui s’est construit autour de cette source sacrée, et d’autre part que l’œuvre se fasse l’écho d’architectures disparues, qui ont façonnés des ouvrages hydrauliques et qui ont résistés à l’épreuve du temps. » nous révèle Feda Wardak.
Ces deux constructions éphémères qui se rejoignent dans leur monumentalité, présentées dans la partie centrale du Jardin, créant alors un imaginaire fécond, avec pour question « Mais d’où surgit cette eau ? ».
Une « Sculpture de paysage »
Ici, les deux artistes se rejoignent pour créer une œuvre monumentale poétique, dans l'idée de faire émerger l’eau : « l’artiste plus jeune donnant l’eau symboliquement à son aîné » nous indique Feda Wardak.
« On a eu peu de temps en commun, mais le projet s’est fait quasiment en un après-midi, à la Galerie Kamel Menour … nous avons apporté chacun notre réflexion et notre vision, la base de ce projet artistique s’est concrétisée à partir du dessin…C’était un moment privilégié et je me suis senti chanceux pour ce moment là ... C’était assez exceptionnel avec une écoute et une profondeur et une expérience assez dingue …c’était assez précieux !»
Le parcours de l’Eau avec Feda Wardak
Diplômé en architecture et professeur d’architecture à Paris-Belleville, Feda Wardak s’intéresse très jeune, aux questions relatives à l’Eau, le thème central de ses recherches.
Depuis plusieurs années, les grandes figures de l’Art Contemporain et les artistes émergents se sont emparés de la thématique de l’Eau, de manière tout à fait significative.
Ainsi lorsque les artistes « embrassent » cette thématique, ils créent, le plus souvent des œuvres d’art capables de nous émouvoir, porteuses de sens, prenant en compte une dimension symbolique et esthétique tout à fait singulière.
C’est le cas des projets artistiques de Feda Wardak qui sont pensés avec une certaine démesure, en amont, tels de grands travaux exigeants ou une entreprise de longue haleine. La progression de sa pensée, tantôt lyrique, poétique ou sociologique, environnementale et politique, questionne le commun des mortels, en portant un autre regard sur un site, un lieu, une frontière…
Pour Feda Wardak, l’aventure plasticienne se développe depuis plus d’une dizaine d’années aux confins de territoires éloignés, son pays d’origine et aussi en France. Là où il s’autorise à créer des projets artistiques multiformes, les intégrant de manière imagée ou « politique » donnant lieu à toutes formes d’expressions ; tant le sujet de l’eau est lié à l’humain.
« L’eau , une ressource du bien commun », Feda Wardak en fait sa ligne de conduite
En débutant ses recherches en Afghanistan, son territoire d’origine, il a pris conscience que les roues à eau, les barrages, les systèmes d’irrigations et autres techniques de gestion de l’eau étaient visibles et lisibles. Il s’emploie à la réactivation de galeries millénaires d’eau.
« Je m’inscris en général dans un travail de terrain long. J’ai travaillé dans les premiers temps en Afghanistan, mon pays d’origine, sur la réactivation des galeries d’eau, que l’on appelle « Karez » en Afghanistan ou « Quanat» en Iran, qui consiste à la revitalisation de galeries d’eau souterraines et millénaires. On retrouve ces mêmes ouvrages, en Iran, au Maroc, en Inde, en Egypte, en Espagne près de Palerme ».
« Leurs tracés ne sont plus visibles et certains d’entre eux ne sont plus archivés. Creusés par l’homme, il y a mille cinq cents ans, dans le but de ramener de l’eau dans les zones les plus désertiques, ces premiers tunnels construits ont aujourd’hui disparu ; notamment avec les bombardements récents, les sols ont énormément vibré et les galeries se sont effondrées. Il n’y avait donc plus d’eau, pour une société qui est encore aujourd’hui, essentiellement paysanne ».
« Depuis 12 ans, je travaille avec les derniers artisans qui maîtrisent ces savoir-faire et les membres de ma famille pour les réactiver, afin de capter cet eau disparue…Ainsi, ces mêmes tracés sont revenus, ses lignes d’eau asséchées et très anciennes sont réactivées. Puis lorsque les sols se sont assainis, on a planté des milliers d’arbres et on a construit une école de ces savoir-faire ».
De cette première expérience marquante naîtra alors pour l’artiste une démarche plasticienne des plus audacieuse ...
De cette première aventure naîtra une plateforme éditoriale « Aman Iwan » qui fut d’ailleurs, mieux compris dans le champ de l’Art Contemporain, que dans le milieu de l’Architecture. Créant autour de lui, une dimension à laquelle on ne pouvait s’attendre, dans le cadre du second numéro de la Revue intitulé « L’eau fait la pirogue » rédigé par le collectif Aman Iwan en 2018, … « nous avons proposé l’étude de différents modèles de gestion de l’eau » nous dit Feda Wardak.
Lorsque l’artiste s’investit, il prend appui d’un premier temps d’écritures et de recherches, sa pratique pluridisciplinaire s’incarnant alors à travers différents médiums.
Il réalise des films, il écrit et met en scène des performances et des créations chorégraphiques, il monte des projets « architecturaux », des lieux, une école des savoir-faire, un centre d’art et de formation, dans un objectif souverain, la préservation de l’eau.
« C’est ainsi, que j’ai mis en place une école nomade qui se déplace sur le territoire en travaillant directement sur le terrain avec les enfants. Ce que je propose aux « enfants-chercheurs » avec lesquels je travaille, c’est de développer un regard qui peut être celui d’un archéologue, d’un urbaniste, d’un artiste, d’un poète. Cette école nomade, comme je l’appelle à Roubaix, Vitry, Clichy-Montfermeil ou Dunkerque, projets déjà réalisés, visent à la projection d’utopies que l’on veut rendre concrètes à terme ».
Feda Wardak de plus en plus sollicité par le milieu de l’Art Contemporain
De plus en plus sollicité par le milieu de l’Art contemporain, il décide de créer une série qu’il nomme « Les Machines à Eau », des œuvres paysagères développées dans leur monumentalité, qu’il engendre avec beaucoup d’aisance, et ceci à travers le monde.
De ces « Machines à eaux » se logent le fruit d’un travail extrême qui s’apparenterait volontiers à la démarche plasticienne si singulière qu’embrassaient Christo et Jeanne Claude, en proposant des projets de longue haleine, pour présenter in fine des œuvres qui interrogent notre temps !
Une profusion de projets artistiques à venir
Il y a des rencontres artistiques plus fascinantes que d’autres, celle de Feda Wardak en fait partie, tant la profusion artistique se fait sentir, trouvant avec intelligence, le moyen de nous émerveiller.
Car de « sa petite histoire », il nous révèle l’autre versant, restituant une part non négligeable, de l’histoire de notre humanité.
Et si, par enchantement, la photo de la jeune enfant de 3 ans qui s’adonne à cœur joie à traverser en courant les immenses arches éphémères de « Water Lines » la fait entrer pleinement au contact de l’œuvre d’Art ; alors, les artistes n’auront pas failli, en accomplissant ainsi leur part…
Un moment poétique à ne surtout pas manquer !
Informations complémentaires :
Vous pourrez retrouver les œuvres de Feda Wardak dans plusieurs Biennales d’Art Contemporain et événements internationaux :
Tout d’abord à la Biennale de Lyon avec une œuvre « Parce que le sol se souvient » (21 sept- 5 janvier 2025), puis au théâtre avant-scène à Cognac où il présentera une œuvre intitulée « La Maison sur l’eau » (automne 2024), pour finalement présenter une autre réalisation « Making The invisible visible » à la Villa Albertine de Chicago et à la Biennale d’architecture de Chicago (nov 2024). On pourra également le retrouver avec une œuvre plasticienne et chorégraphique « A Hauteur d’eau » - Le quartz – Scène Nationale de Brest (Juin 2025).