- Auteur Jean Antoine Santiago
- Temps de lecture 6 min
Quand la crise sanitaire redonne du sens à la peinture… Et si un vieux tableau parlait encore ?
À découvrir, l’exposition de peinture sur Théodore Jourdan, artiste peintre né à Salon de Provence. Sa ville natale lui consacre une exposition permanente (gratuite) qui laisse réflexion sur le sens de la peinture notamment lors de crises sanitaires. Dialogue avec une toile, témoin de l’Histoire depuis plus d’un siècle.
Dans la bande des peintres de l’École de Marseille, dont le chef de file est Émile Loubon (1809-1863), Théodore Jourdan n’est pas le plus cité. Mais, à Salon de Provence, il est certainement le plus grand peintre. Il n’est pas aisé d’interviewer un artiste décédé depuis 112 ans. Et pourtant, depuis que la COVID a frappé le monde, j’avais une envie folle de m’entretenir avec le maître salonnais. Pourquoi ? À bien des égards, la crise sanitaire que nous connaissons pourrait donner des échos très actuels à sa peinture. À défaut de rencontrer l’artiste, je suis allé interroger un de ses tableaux. Je me suis donc rendu au Musée de Salon et de la Crau au Château de l'Empéri. L'exposition de peinture se visite dans quatre salles consacrées à Théodore Jourdan. On peut y contempler de nombreux dessins et peintures, dont 19 grands tableaux, légués par le peintre à la Ville de Salon en Provence, après son trépas en 1908. Petit plus, l’accès à l’exposition permanente est libre. En entrant dans la salle, j’avais l’embarras du choix. Je me suis dirigé vers une toile de 1,47 mètres sur 1,95 mètres, intitulée « Berger au pâturage ». Elle est datée de 1901. Je vous retranscris, ci-dessous, notre échange.
JA - Pourriez-vous me raconter votre naissance ?
La toile – J’ai été vernie en 1901, 7 ans avant le départ de Théodore Jourdan. À ma naissance, le monde avait connu de grandes transformations, et celui des arts, de multiples révolutions. La Provence de Cézanne et Van Gogh s’apprêtait à bouleverser l’histoire de la peinture.
On dit qu’au XIXe siècle, le train, l’urbanisme grandissant et l’industrialisation ont permis de considérer la campagne et le travailleur agricole sous un regard nouveau. Ce n’est pas faux. Mais il y a eu aussi un événement déclencheur et particulièrement en Provence : le Choléra qui sévit de 1835 à 1894· On a assisté alors à un véritable exode des villes, vers les campagnes. Les citadins fuyaient la promiscuité, espérant se prémunir contre la pandémie, au grand air. Émile Loubon a d’ailleurs très bien représenté ce phénomène dans son tableau de 1835, « Émigration pendant le choléra à Marseille » (Musée Fabre, Montpellier) . Au-delà de la sécurité sanitaire, les Provençaux redécouvraient, dans la ruralité, un rapport apaisé au temps et à l’essentiel. Le paysan, le berger, l’éleveur et tous ceux que l’on met dans la crèche chaque année, n’étaient plus des rustres. Ils illustraient la vie en harmonie avec la nature. Et même plus, ils montraient comment faire corps avec elle.
Plus de 70 ans après, ce sentiment était encore très vivace dans la peinture de Théodore Jourdan. et probablement dans celle de Cézanne et Van Gogh. On évoque souvent le soleil de la Provence fascinant les artistes des quatre coins du globe. Ce soleil, cette lumière si particulière, les attirait en Provence parce qu’il faisait de cette terre une deuxième Italie, une deuxième Arcadie, si chère à Cézanne. Frédéric Mistral et les félibres ont grandement contribué à construire ce mythe dans leur littérature.
JA- Votre récit colle tellement à l’actualité ! Comment ne pas entendre un lointain écho dans les 17 % de Franciliens qui ont quitté leur domicile du 13 au 20 mars 2020, pour vivre le confinement dans leur résidence secondaire ? Comment ne pas voir l’Histoire se rejouer dans le besoin de circuits courts, d’authentique, de nature, dans les envies de changer radicalement de vie ? Comment ne pas y voir une explication à la « poussée verte » des dernières élections municipales ?
La toile (étonnée et interloquée) – Je ne comprends rien à votre discours… (reprenant son souffle et le fil de son propos) Théodore Jourdan, en 1874, deviendra professeur à l’École des Beaux-Arts de Marseille, à la suite de son maître et ami, Émile Loubon. Il restera fidèle à ce courant, intégrant probablement un peu de l’héritage impressionniste dans sa technique. Mais il est certain, qu’il est de ceux qui ont attiré Cézanne et Van Gogh dans leur retraite provençale.
À propos de l’Homme en harmonie avec sa terre… Avez-vous remarqué comment Jourdan a peint le berger ? Son pantalon et ses chaussures sont dans les mêmes teintes que la terre et le troupeau. Sa veste est d’un gris légèrement bleuté, comme le paysage en arrière-plan. Il porte une veste bleue sur son épaule… La couleur du ciel. Le berger est l’Homme en parfait accord avec la nature. Et pas une trace de machine ou d’industrie ! On distingue, à peine, au loin, perdu dans les tons bleus de la perspective atmosphérique, un semblant de bâtis.
JA - Je comprends mieux pourquoi j’ai tant aimé parcourir les toiles de Jourdan, sur Internet, pendant le confinement.
La toile (dubitative) – Vous avez été enfermé ?
JA – Non, confiné. Mais le monde entier a été confiné et depuis, nous pouvons sortir à nouveau, travailler, mais nous devons garder des distances entre nous et porter des masques à longueur de journée.
La toile (encore plus dubitative, encore plus interloquée) – Vous ne vous embrassez plus ? Et vous vivez avec un masque ? Je comprends mieux l’accoutrement de tous ces visiteurs ces jours-ci… (l’air rassurant et maternel) Je vous rassure, jeune homme, j’ai connu la grippe espagnole, deux guerres mondiales, tellement de drames et même le grand séisme de Salon… Vous vous en remettrez… (l’air malicieux) La nature est bien faite.
Informations Pratiques :
L'exposition de peinture est visible au Château de l'Emperi à Salon de Provence.
Exposition permanente - Entrée Libre
Musée de Salon et de la Crau - Salle Théodore Jourdan
Tél : 04 90 44 72 80
Photo à la Une : Berger au pâturage, Théodore Jourdan © musée de Salon et de la Crau, Salon de Provence / Régis Cintas-Flores
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