- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 10 min
“Affleurements” une exposition où le passé rencontre le présent et pense le futur – Centre de conservation et de ressources
“Affleurements”, une exposition présentée par le Mucem, à explorer au Centre de Conservations et de Ressources. Regards croisés de quatre artistes en résidences croisées, qui s’interrogent sur les liens entre l’archéologie et la création contemporaine. Affleurer, apparaître, émerger, une rencontre entre le passé, le présent, et l’avenir traduite par Hélia Paukner, commissaire de l’exposition.
Le Mucem présente Affleurements, exposition du 18 septembre 2020 au 8 janvier 2021 - À découvrir au Centre de Conservation et de Ressources, lieu d'exposition rattaché au Musée des civilisations de l'Europe et la Méditerranée (Mucem)- Marseille
Le MUCEM dispose d’un Centre de conservation et de ressources (CCR) situé dans le quartier de la Belle de Mai, non loin de la gare Saint-Charles. Ce bâtiment de 13 000 m2, dont plus de 8 000 m2 de réserves, abrite l’ensemble des collections et fonds conservés par le MUCEM, soit près de 250 000 objets, 130 000 tableaux, estampes, dessins, 450 000 photographies, près de 100 000 ouvrages et périodiques ainsi que des archives papiers, sonores et audiovisuelles. Le Centre de conservation et de ressources a été réceptionné par le MUCEM le 30 août 2012. Il a été construit par l’architecte Corinne Vezzoni, récompensée du Prix de la Femme Architecte de l’année 2015 par l’ARVHA. Y pénétrer, c’est mettre le pied dans un monde à part, un monde culturel dont on ressort plus riche, un peu ‘sonné’ par tant de beautés et de découvertes, mais ‘vachement’ heureux. Le Centre de conservation et de ressources est le lieu où se déroule l’étude des collections et fonds, d’abord par le travail des équipes scientifiques du MUCEM, ensuite par l’accueil de chercheurs, d’étudiants ou du grand public qui bénéficient d’espaces de consultation. Enfin, le centre permet de développer une politique de prêts et de dépôts vers des musées partenaires, en France comme à l’étranger, le MUCEM étant un important musée prêteur dans le paysage patrimonial français.
Affleurer, apparaître, émerger
En géologie, un affleurement est un ensemble de roches non séparées du sous-sol, étant mis à nu par un ensemble de facteurs (érosion hydraulique, glaciaire, marine ou activité humaine) sans être masquées par des formations superficielles (sol, éboulis, alluvions, dépôts éoliens ou glaciaires…). L'exposition ‘Affleurements’ a permis à quatre artistes de lier présent et passé et futur et d’amener la réflexion. Par leur œuvres, le passé apparaît, émerge, affleure, explique le présent, et se penche sur l’avenir.
Affleurement, une exposition proposée par le MUCEM sur la culture citoyenne
"Quels sont les liens entre création contemporaine et archéologie ? C’est l’une des questions soulevées par l’exposition « Affleurements », qui présente les travaux de quatre artistes - Amalie Smith, Sammy Beloji, Cristina Lucas et Francisco Tropa - accueillis en résidence au sein de quatre institutions culturelles européennes dans le cadre du projet *Excavating Contemporary Archaeology.
À Anvers (AIR, Belgique), à Nicosie (POINT, Chypre), à Aarhus (Kunsthal, Danemark), comme à Marseille (Mucem, France), chacun de ces artistes a pu, durant plusieurs semaines, s’inspirer des contextes culturels locaux, travailler avec des collégiens et produire de nouvelles créations selon des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celles de l’archéologie.
En effet, à la manière de l’archéologue, ces artistes interrogent la surface visible du monde pour y faire affleurer les traces du passé – qu’elles témoignent d’un moment historique qu’il est parfois douloureux d’évoquer ou de la mémoire mythique d’une humanité questionnant ses origines. En contrepoint, certains questionnent notre devenir dans une sorte de récit d’anticipation, inventant une nouvelle forme d’archéologie du futur.
L’objectif est de questionner les liens existants entre l’archéologie, entendue au sens large des traces laissées par le passé, et la création artistique contemporaine. Les quatre partenaires ont mis en place des programmes de résidences, permettant à des artistes contemporains d’explorer la diversité des patrimoines culturels. Le projet suggère ainsi une nouvelle approche du patrimoine culturel, de l’histoire et de la notion d’identité, à l’attention du grand public et notamment des jeunes générations."
Rencontre avec Hélia Paukner, commissaire de l’exposition "Affleurements", conservatrice du patrimoine, responsable du secteur Art contemporain au Mucem
Danielle Dufour-Verna – Projecteur TV – J’ai lu que cette exposition fait le lien entre création contemporaine et archéologie. De quelle façon ?
Hélia Pauknar – En fait, c’est une sortie de résidence. On présente les œuvres de quatre artistes qui ont été invités dans le cadre d’un programme européen, Excavating Contemporary Archaeology, dans des résidences croisées. C’est-à-dire que Francisco Tropa qui est Portugais est venu à Marseille, Amalie Smith qui est Danoise est allée à Nicosie, à Chypre et à Anvers en Belgique. Cristina Lucas qui est Madrilène est allée également à Anvers et à Chypre. Et Sammy Baloji, qui lui est basé en Belgique, est allé au Danemark. Ils ont eu à plancher comme sujet ‘L’archéologie comme thème d’inspiration avec la création contemporaine’. Les quatre artistes ont entre 32 et 50 ans. Tous sont, soit en train d’être connus internationalement, soit bien installés sur la scène internationale, la plus jeune étant Amalie Smith. Ils ont chacun livré leur vision de l’archéologie à travers leurs œuvres. On leur a également demandé de prendre position sur l’archéologie sur le site où ils étaient accueillis en résidence.
« Interroger les origines de l’Humanité »
Par exemple, Amalie Smith, à Chypre, a visité le musée archéologique de Nicosie, a vu des figurines de l’époque archaïque grecque, et à essayer d’interroger les origines de l’humanité en disant que, peut-être, la vie était née de l’argile. Elle a donc fait une vidéo où elle interroge cela ‘La théorie de l’argile’. Ceci était une approche proposée : interroger les origines de l’humanité.
Sammy Baloji a travaillé, lui, sur une dimension post coloniale sur la manière dont la colonisation a marqué le paysage de la République démocratique du Congo dont il est originaire.
Une autre interprétation de l’archéologie, celle de Cristina Lucas qui fait le constat d’une archéologie impossible à Chypre où, finalement, le même paysage, le même horizon méditerranéen cache une pulsion traumatique entre la partie hellénophone et la partie turcophone. Une pulsion traumatique qui ne se lie pas dans le paysage que l’archéologie n’arrive pas à restituer mais qu’elle, en tant qu’artiste, se fait la voix.
DDV-Projecteur TV – Pourquoi plancher sur ce sujet ?
Hélia Paukner – En fait cela partait d’un programme européen qui disait fédérer un réseau des institutions muséennes qui ne sont pas toujours sur le devant de la scène. Le Mucem est bien en vue mais par rapport aux institutions parisiennes, on reste parfois moins visible. Cela reste au niveau de Nicosie, pour le Centre d’art contemporain à Anvers. L’idée est donc de réunir non seulement les artistes mais aussi les institutions. Cela a été une discussion sur les missions, sur qu’est-ce qu’une idée, et l’archéologie permettait cela.
Penser le passé pour construire l’avenir
DDV – Projecteur TV - Quand je lis ‘les liens entre création contemporaine et archéologie’ cela me fait penser, politiquement, que l’on ne doit pas oublier le passé pour construire l’avenir. Est-ce qu’il y a un peu de cela ?
Hélia Paukner – Un peu de cela, déjà dans toute l’œuvre post coloniale de Sammy Baloji, c’est-à-dire comment on construit aujourd’hui cette identité de ressortissant d’anciens peuples colonisés. Egalement dans la vidéo d’Amalie Smith ‘Théorie de l’Argile’ qui confrontent les statuaires d’argile archaïques chypriotes à des robots, en fait à ce que la vie est en train de devenir.
DDV – Projecteur TV –Une exposition donc très politique dans le sens où elle fait partie de la citoyenneté.
Hélia Paukner – Oui, on peut le dire. Ce projet s’est étendu de 2018 à 2020. Pendant la première année, on a demandé aux artistes, partout où ils allaient en résidence, de proposer des ateliers à des jeunes. Sur les œuvres exposées, il y en a trois qui ont vraiment été élaborées avec des collégiens et des lycéens. Sur l’œuvre ‘Flag’ de Cristina Lucas l’artiste a travaillé avec des lycéens dont beaucoup émigrés et venant de communautés diverses, à Anvers. Elle les a fait travailler chacun sur les drapeaux de leur pays d’origine qu’elle a transformé en jeux de construction. Elle a donc fait des sculptures interactives pour les inciter à interroger ces symboles d’identité, à déconstruire, à comprendre la dimension symbolique, le sens des drapeaux. Elle les a observés en train de manipuler les œuvres en essayant de définir leur propre identité tout en insistant sur ces drapeaux jeux de construction. Francisco Tropa, en résidence au MUCEM, a travaillé avec une classe de 5e du collège Louis Armand à Marseille. Ils sont venus plusieurs fois dans les réserves du MUCEM choisir des objets. À partir de ces objets, ils ont imaginé les archéologues du futur découvrant ces objets du passé.
Le musée, lieu vivant, d’échange, de création, de rencontre.
DDV –Projecteur TV - C’est donc lier le passé au présent pour penser l’avenir…
Hélia Paukner –Exactement, et démontrer par la même occasion que le musée est un lieu vivant, pour échanger, pour créer, pour se rencontrer. Les enfants se sont inventés archéologues du futur et ont dessiné. Francisco Tropa a interprété leurs dessins avec des gravures qui sont aussi exposées. Il y a l’objet de collection, le dessin des enfants et la gravure. Cette partie-là, Francisco Tropa et les enfants, a déjà été exposée l’an dernier dans le premier volet du projet qui s’appelait ‘Derrière nous’ une première exposition, ancrée uniquement sur le travail des collégiens.
*Excavating Contemporary Archaeology est un projet de coopération européenne qui vise à explorer la richesse et la diversité du patrimoine culturel européen. Il rassemble pour une durée de deux ans (2018-2020) quatre institutions partenaires : la Kunsthal à Aarhus (Danemark), POINT à Nicosie (Chypre), AIR à Anvers (Belgique) et le Mucem.
"Affleurements", l'exposition proposée par le MUCEM est à voir au
Centre de conservation et de ressources— (Belle de Mai—1, rue Clovis Hugues 13003 Marseille)
Jusqu'au 8 janvier 2021
© Photo à la Une : Amalie Smith, Clay Theory (still), Vidéo, 18', 2019 © Amalie Smith (Exposition Affleurements au Mucem)
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