- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 8 min
Guérir les mémoires blessées … Exposition Abd el-Kader – Le MUCEM –
Le MUCEM à Marseille présente ‘Abd el-Kader’ jusqu’au 22 août 2022. Plus de deux ans de travail ont été nécessaires pour la préparation de cette exposition qui réunit près de 250 œuvres et documents issus de collections publiques et privées françaises et méditerranéennes, dont les Archives nationales d’outre-mer, la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales, le château de Versailles, le musée de l’Armée, le musée d’Orsay, le musée du Louvre, la chambre de commerce et d’industrie Aix-Marseille, La Piscine de Roubaix…
Guérir les mémoires blessées - Exposition Abd el-Kader – Le MUCEM – 6 avril/22 août 2022
‘’ Émir de la résistance à la conquête française, fondateur du premier État algérien, précurseur du droit des prisonniers en temps de guerre, homme de paix entre l’Europe et l’Islam, mystique soufi entre tradition et modernité… Le nombre impressionnant des qualificatifs et titres dédiés à l’émir Abd el-Kader (1808-1883) donne un premier aperçu de la richesse du personnage et nous invite à cette double question : que sait-on aujourd’hui d’Abd el-Kader ibn Muhieddine, de sa vie, de son œuvre, et que faisons-nous de son héritage ? Cet ouvrage, catalogue de la nouvelle exposition qui lui est consacrée par le Mucem, revient sur le parcours de ce personnage complexe, dont il convient plus que jamais de nous inspirer aujourd’hui, de part et d’autre de la Méditerranée.’’
Exposition Abd el-Kader – Le MUCEM
Démêler l’écheveau d’une mémoire historique complexe
Qu'ils soient Algériens, soldats français, pied-noir, Harkis ou enfants de l'immigration algérienne, tous les groupes impliqués dans la guerre d’Algérie ont eu tendance à ‘s’enfermer’ dans leur propre souffrance sans reconnaître celle des autres. L’exposition présentée au Mucem met en lumière la figure d’Abd el Kader dans toute sa richesse et son importance historique et intellectuelle. Elle crée ainsi est une sorte de lien culturel et sociétal pacifiant, unissant, dans le passé, le présent et le futur, nos deux peuples, français et algériens. L’exposition du Mucem (du 6 avril au 22 août 2022), en s’attachant à la figure du grand homme, commence à démêler l’écheveau d’une mémoire historique complexe. Cette exposition qui casse les codes de la légende d’Abd el Kader fait œuvre dans l’histoire et les relations franco-algériennes, et se pose en résonance de notre histoire méditerranéenne.
Abd el-Kader, émir et grand érudit
Abd el-Kader nait en 1808, au XIXe siècle, dans une région qui s'appelle El Guettana près de Mascara, et dans une famille de lettrés. Il meurt le 26 mai 1883 à Damas, alors dans l'Empire ottoman et aujourd'hui en Syrie.
Qui est Abd el-Kader ?
Abd el-Kader est un émir, chef religieux et militaire algérien, qui a mené une lutte contre la conquête de l'Algérie par la France au milieu du XIXe siècle. Son père Muhieddine prodigue à son fils une éducation dont la source vient principalement des zaouïas. On dit d’Abd el-Kader qu’il savait lire à 5 ans, qu’il connaissait par cœur le Coran à 14 ans et qu’il aimait l’art de la cavalerie. Musulman et érudit soufi, il se retrouve inopinément à la tête d'une campagne militaire. Il a formé un groupement de personnes de l'ouest de l'Algérie qui, pendant de nombreuses années, a résisté avec succès à l'une des armées les plus avancées d'Europe. Son respect constant de ce que l'on appelle aujourd'hui les droits de l'homme, notamment à l'égard de ses opposants chrétiens, a suscité une admiration générale. Son intervention décisive pour sauver la communauté chrétienne de Damas d'un massacre en 1860 lui a valu les honneurs et la reconnaissance du monde entier. En Algérie, ses efforts pour unifier le pays contre les envahisseurs extérieurs lui valent d'être acclamé et sa capacité à combiner l'autorité religieuse et politique lui vaut d'être salué comme un "prince parmi les saints et un saint parmi les princes".
Abd el-Kader est le fondateur de l'État algérien moderne
Erudit, Abd el-Kader entreprend des relations économiques avec les USA et l'Angleterre, et même avec des hommes d’église, ceux-là même qui se constitueront plus tard en comité pour le libérer suite à son emprisonnement.
Il fait construire des hôpitaux, des bibliothèques, etc. Son but: ériger un Etat algérien moderne. Un autre aspect d'Abd el-Kader qui l'aide à gérer son jeune État est sa capacité à trouver et à utiliser les bons talents, quelle que soit leur nationalité. Il emploie des juifs et des chrétiens pour construire sa nation. Il crée des arsenaux, des entrepôts et des ateliers dans les villes de l'intérieur où il stocke des articles à vendre pour acheter des armes à l'Angleterre.
L'émir Abd el-Kader et Napoléon III
En 1830, Alger est prise par la France. En 1838, c’est Mascara qui tombe. Il s'ensuit des traités pour récupérer des villes comme Tlemcen, Miliana puis le bras de fer avec le général Bugeaud qui étend ses pleins pouvoirs pour écraser la résistance algérienne. Abd el-Kader va créer la smala, la capitale mobile de l'Algérie contenant 75.000 personnes. Si l'Emir parvient à gagner une bataille, il est loin de gagner la guerre contre l'occupant. Ne tenant pas ses promesses, la France le fait retenir prisonnier à Toulon, lui, ses proches et sa famille. Reclus en France, la guerre fait désormais rage en Algérie. L'Emir est retenu dans un château à Pau puis il est renvoyé dans un château à Ambroise. Désespéré sans doute, Abd el-Kader se réfugie entre les murs de sa tente imaginaire et la prière. Napoléon III le libère et le fête même. Libre de ses mouvements, il sera tout de même surveillé dans ses moindres agissements. Le soufisme et les écritures saintes ont une grande place dans l'enrichissement du parcours d’Abd el-Kader qui se nourrira profondément des préceptes humanistes et mystiques d'Ibn El Arabi.
Tolérance et Conciliation
"Nous étions consternés, nous étions tous convaincus que notre dernière heure était venue [...]. Alors que nous attendions la mort, dans ces moments d'angoisse indescriptible, le Ciel nous a envoyé un sauveur ! Abd el-Kader apparaît, entouré de ses Algériens, une quarantaine. Il était à cheval et sans armoiries : son beau visage, calme et imposant, contrastait étrangement avec le bruit et le désordre qui régnaient partout. » - Le Siècle, 2 août 1869 ".
L'émir Abd el-Kader, sauveur des chrétiens à Damas en 1860
Abd el-Kader prônait la tolérance et la conciliation. En juillet 1860, le conflit entre Druzes et Maronites au Mont Liban s'étend à Damas, et les Druzes locaux attaquent le quartier chrétien, tuant plus de 3 000 personnes. Abd el-Kader avait déjà averti le consul de France et le Conseil de Damas de l'imminence de la violence. Lorsque le conflit a finalement éclaté, il a accueilli chez lui, en toute sécurité, un grand nombre de chrétiens, dont les chefs de plusieurs consulats étrangers, ainsi que des groupes religieux tels que les Sœurs de la Miséricorde. Ses fils aînés ont été envoyés dans les rues pour mettre tous les chrétiens à l'abri de la menace, sous sa protection, et de nombreux survivants affirment qu'Abd el-Kader lui-même a joué un rôle clé dans leur sauvetage.
Abd el-Kader, Un homme admirable et respecté
Dès le début de sa carrière, Abd el-Kader a suscité l'admiration, non seulement en Algérie, mais aussi en Europe, même lorsqu'il combattait les forces françaises. La "généreuse sollicitude, la tendre sympathie" dont il fait preuve à l'égard de ses prisonniers de guerre est "presque sans équivalent dans les annales de la guerre", et il prend soin de respecter la religion privée des prisonniers. En 1843, le maréchal Soult déclare qu'Abd el-Kader est l'un des trois grands hommes vivants sur terre ; les deux autres, l'imam Shamil et Mehemet Ali d'Egypte, sont également musulmans. Il est actuellement respecté comme l'un des plus grands de son peuple. Par sa vie frugale (il vivait dans une tente), Ab el-Kader, qui séjourna à Damas jusqu’à sa mort, a enseigné à son peuple la nécessité de l'austérité et, par l'éducation, il lui a enseigné des concepts tels que la nationalité et l'indépendance.
Marseille et l’Algérie
Guerre, rapatriés, immigration, des deux côtés de la Méditerranée, les histoires sont souvent douloureuses, font mal et mettent au défi la mémoire commune. Marseille et l’Algérie, si proches, si semblables, baignent dans la même mer. Une exposition comme celle du Mucem, déliant l’écheveau de l’histoire, est un baume au cœur, un acte d’amour.
Commissariat d’exposition et direction d’ouvrage : Camille Faucourt, conservatrice, responsable du pôle Mobilités et métissages, Mucem
Florence Hudowicz, conservatrice en chef du patrimoine, responsable du département des Arts graphiques et décoratifs, musée Fabre, Montpellier
Conseil scientifique :
Ahmed Bouyerdene, auteur et chercheur en histoire, spécialiste de la vie et de l’œuvre de l’émir Abd el-Kader
Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon, auteur, acteur du dialogue interreligieux
Scénographie : Atelier Maciej Fiszer
Graphisme : Atelier Bastien Morin
Avec la contribution exceptionnelle du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Le MUCEM exposition visible de 10h à 19h