- Auteur Isabelle de Montfumat
- Temps de lecture 9 min
Contemporaine de Nîmes : « Avant de voir le jour » avec Jeanne Vicerial & Pierre Soulages
La talentueuse Jeanne Vicerial entretient une relation artistique tout à fait exceptionnelle avec Pierre Soulages avec l’exposition « Avant de voir le jour », au Musée du Vieux Nîmes, jusqu’au 23 juin 2024.
« Avant de voir le jour »- Jeanne Vicerial & Pierre Soulages. Exposition temporaire à voir en ce moment jusqu'au 23 juin 2024 au Musée du Vieux Nîmes, dans le cadre de La Contemporaine.
Note du 29 juin 2024 : Au regard de son succès, l'exposition dans le cadre de la Contemporaine de Nîmes est prolongée jusqu'au 22 novembre 2024.
Déployée sous la forme d’un parcours dans le centre-ville, musées, lieux culturels, sites patrimoniaux, espaces publics…, la Contemporaine de Nîmes permet un nouveau regard sur le patrimoine en créant des passerelles entre l'art contemporain, la création contemporaine et le patrimoine. Chacun de ces lieux rassemble un binôme intergénérationnel composé d’un artiste émergent et d’un artiste établi ou historique, ainsi que par l’implication des lycées ou établissements publics nîmois qui se sont associés à ses créations.
Nous vous proposons de rencontrer Jeanne Vicerial qui est, sans aucun doute, à l’instar d’Eva Jospin, l’une des artistes les plus talentueuse de sa génération. Elle présente une installation tout à fait exceptionnelle, où sont présentées dans un face à face audacieux, les œuvres Outrenoirs de Pierre Soulages aux côtés de ses créations textiles réalisées pour l’occasion, au musée du Vieux Nîmes.
« Avant de voir le jour »- Jeanne Vicerial & Pierre Soulages - Contemporaine de Nîmes 2024
Jeanne Vicerial, un parcours artistique atypique
Jeanne Vicerial, née en 1991 à l'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), n’est pas une inconnue dans le milieu de l’art contemporain. Son parcours atypique n’est pas issu d’un hasard fortuit, mais plutôt d’une succession de rencontres, d’événements et de travail qui la conduira à créer des œuvres singulières.
En effet, dès l’adolescence, l’artiste se tourne vers la confection vestimentaire. Après des études de costumière puis un master en Design de vêtement à l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, elle s’engage dans un travail de recherche qui prend la forme d’une thèse de doctorat faisant le lien entre sciences, arts, création et recherche. Elle l’approfondit dans la mise au point, grâce à un partenariat avec le département de mécatronique des mines ParisTech, d’un procédé breveté permettant de produire des vêtements sur-mesure et sans chute. Parallèlement, elle s’engage dans une démarche artistique qui la pousse à la création de costumes pour l’Opéra de Versailles, sous la direction du célèbre chorégraphe, d’Angelin Preljocaj.
Fruit d’un travail de recherche et de création artistique, elle se fait remarquer à la Villa Medicis avec la création de sculptures tissées. L’année dernière, la célèbre Galerie Daniel Templon lui offrira son écrin parisien pour une première exposition intitulée « Amors », où l’expérience du costume s’est transformée, en sculptures vestimentaires.
L’œuvre de Pierre Soulages dans le parcours de Jeanne Vicerial
Photographie, 2011. Musée Soulages, Rodez.
Photo © Musée Soulages / Thierry Estadieu.
© Fritz Pitz.
L’œuvre du peintre Pierre Soulages a été particulièrement importante dans le parcours de Jeanne Vicerial. Dès l’âge de 17 ans, elle est fascinée par ses Outrenoirs qui l’interpellent par cette manière, dont le célèbre artiste appréhende une matière, une couleur, dans un geste sans cesse renouvelé et qui pour Jeanne Vicerial l’amènera vers un tout autre imaginaire et fécond.
Le duo Jeanne Vicerial & Pierre Soulages était très attendu
Dans ce face à face inédit, Jeanne Vicerial a souhaité rendre un hommage à l’artiste émérite.
Dès l’entrée du musée, elle montre avec force, sa capacité à engendrer des œuvres singulières, à couper le souffle et aborde avec simplicité et exigence, l’entièreté de la gageure.
« Le projet est né lors d’une discussion avec les commissaires de la Contemporaine.. Pour moi, c’était quelqu’un que j’aurais adoré rencontrer... et je n’aurais jamais imaginé cette exposition ». « Pour moi, c’était impossible… ». « Et, je l’ai donc vraiment pris comme une chance… cela n’arrive qu’une fois dans une vie ! J’avais une grande appréhension…c’est donc un projet que j’ai patiemment mûri et réfléchi, et c’est aussi pourquoi, je souhaitais travailler directement sur place…je voulais m’acclimater à cette confrontation, à ce duo, à vivre dans le musée avec les œuvres de Pierre Soulages, c’était très important ».
Jeanne Vicerial, ADAGP, Paris, 2024,
et TEMPLON, Paris – Bruxelles – New York
& Pierre Soulages.
Jeanne Vicerial aime à souligner « qu’en découvrant l’œuvre de Pierre Soulages.. je voyais déjà cette idée, incroyable, de ce que l’on peut faire avec une matière, une couleur et l’infinie possibilité et un travail aussi gigantesque que celui qu’a réalisé Pierre Soulages, toujours en réinventant, ce geste, ce travail …et pour moi, lorsqu’on observe ces tableaux, cela nous conduit dans une sorte subconscient et on atteint un imaginaire et de cet imaginaire, des mondes apparaissent, et la figuration peut revenir…. ».
Un lieu, deux artistes qui se rencontrent, une exposition singulière et époustouflante.
Sa capacité à investir les lieux, la singularité de ses œuvres nous subjugue.
Orchestrée et sacralisée, en résonance avec l’espace et l’œuvre de Pierre Soulages, l’installation de Jeanne Vicerial nous plonge dans un monde onirique fait de poésies, de regards, de sonorités, de sensations inédites.
Cette installation inédite entre en dialogue, au rythme de trois salles et de trois ambiances qui ont nécessité pour la jeune artiste « d’habiter le musée » pendant plus d’un mois, avec son équipe et les étudiants en mode du Lycée Hemingway de Nîmes.
En réinventant cet imaginaire, Jeanne Vicerial y fait apparaître des mondes
L’expérience proposée aborde autant l’idée de renaissance et de la métamorphose, que l’état d’antériorité qui précède la naissance, le dernier souvenir avant que ne commence la vie.
Jeanne Vicerial, ADAGP, Paris, 2024,
et TEMPLON, Paris – Bruxelles – New York
& Pierre Soulages.
Réalisées et tissées à la main, ces « Présences féminines » relèvent d’une grande technicité, qui nécessite pour chacune d’entre elles, quelques mille deux-cents heures de travail.
Ainsi, ces sculptures, aux sensations figuratives aux encablures abstraites et les Outrenoirs rythment ce parcours du blanc vers le noir, puis du noir vers le blanc, tout en mettant en lumière les nombreux parallèles qui existent entre les deux artistes ; allant de l’abstraction à la figuration et, vice et versa.
Ainsi, les œuvres abstraites de Pierre Soulages magistralement accrochées sont « habitées » par les fils peignés de ses créations posées à même le sol, en réponse sans doute, au geste du pinceau pris dans l’épaisseur des Outrenoirs… ou encore dans la pièce du fond, entièrement revêtue d’un noir absolu,Jeanne Vicerial a souhaité montrer la lumière, si caractéristique de l’œuvre de Pierre Soulages, pour y placer une pièce figurative, tutélaire reposant comme un gisant, gardien du temple.
Le geste, la matière, la lumière sont mis en relief par une mise en abîme, de l’un envers l’autre, une sorte d’écrin recroquevillé dans le bon sens du terme. Les œuvres « se subliment » de l’une envers l’autre, tel un jeu de séduction et d’attirance innée autour de la matière, ne laissant apparaître seulement, la beauté du geste de ces deux artistes.
« De ce tableau naît une figure mythologique dont on ne sait pas très bien la situer... on ne sait pas si ces figures mythologiques viendraient de très loin, du passé, ou au contraire du futur…Du reste, ces figures, dans les différents contextes où elles sont installées racontent, à chaque fois, une autre histoire ». « Pour moi, ici, il est question de la gestation, de création, de l’acte artistique, l’apparition de formes et de la matière, du toucher, de la question du monochrome puisque mes pièces sont également faîtes de fils et de cordes très résistantes noires, qui nourrissent en quelque sorte, mon imaginaire et le rapport singulier que j’entretiens avec les œuvres de Pierre Soulages » .
Bien sûr, cette installation ne pouvait être penseé, sans être accompagnée par la Conservatrice en chef du patrimoine du musée du Vieux Nîmes, qui a su laisser libre cours à l’inspiration de l’artiste, retenue par l’exigence des œuvres pour s’emparer des lieux.
« J’imaginais cette dernière salle, comme une crypte, comme une chapelle, où l’on se pose, ou l’on observe »… « je voulais laisser vivre la lumière…l’œil s’habituer…c’était vraiment voulu, intentionnel, ce temps-là » .
Une alchimie créative, un temps suspendu d’une grande intensité.
Jeanne Vicerial, ADAGP, Paris, 2024,
et TEMPLON, Paris – Bruxelles – New York
& Pierre Soulages.
Il s’y dégage une alchimie créative dont nulle ne peut se départir. Ces deux imaginaires, dont rien ne pouvait prédire leur appartenance, se rapprochent, se répondent, se croisent, se répondent et opèrent comme par magie.
Fait également à noter, ces œuvres « figuratives » sont ornementées, pour certaines d’entre elles et pour la première fois, par du métal. Peut-être, est-ce pour Jeanne Vicerial, une nouvelle exploration qui se dessine.
D’autres aventures...
Assurément, on ne peut se départir de Jeanne Vicerial, tant son travail impose l’admiration.
Et lorsqu’on évoque les futurs projets de l’artiste-chercheuse Jeanne Vicerial, la magie se prolonge.
« Il y a une citation de Balmain que j’adore qui évoque la relation entre l’architecte et le couturier.. .. » « un corps bouge…on ne peut pas être dans une terrain plus sismique que celui d’un corps humain » et en même temps « la terre est en mouvement, il y a donc quelque chose d’intéressant à explorer, à travailler sur la question de l’enveloppe, de l’habitat et du vêtement » .
A une autre échelle, l’artiste va se propulser pour une résidence, de cinq mois, au Japon, à la Villa Kujoyama, pour travailler avec la danseuse Julia Cima « avec l’idée d’explorer d’autres espaces, de les épouser une nouvelle fois : notre projet est de relier la narration et le mouvement à l’architecture et de créer des espaces par le fil ».
C’est assurément, le moment fort de cette triennale, qui nous invite à ressentir une émotion d’une intensité rare, tant ceci est prodigieusement spectaculaire.
Renseignements, informations pratiques : Exposition "Avant de voir le jour " avec Jeanne Vicerial & Pierre Soulages
Musée du Vieux Nîmes
Pl. aux Herbes
30000 Nîmes
Horaires d'ouverture :
Le Musée du Vieux Nîmes est ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf le lundi.
Informations complémentaires : Jeanne Vicerial entre au Musée Soulages à Rodez pour l’exposition d’été, au mois de mai. Une conférence en présence de l’artiste est prévue le 31 mai 2024. www. musee-soulages-rodez.fr