- Auteur Joseph Lustro
- Temps de lecture 12 min
Projection sur grand écran : Vénus Beauté (Institut) de Tonie Marshall
“Vénus Beauté (Institut)”, réalisé par Tonie Marshall en 1999, nous plonge dans le quotidien d’un institut de beauté d’un quartier parisien. Le film n’avait eu qu’un succès d’estime à sa sortie, mais l’œuvre a été nominée et multi-récompensée à la cérémonie des César 2000, et finalement vu par plus de 1,5 millions de spectateurs. On appelle cela un joli succès public. Avec les actrices Audrey Tautou, Mathilde Seigner, Nathalie Baye et Bulle Ogier. Projection sur grand écran pour mettre en lumière, en ce mois de mars, toutes les femmes …
Le film "Vénus Beauté (Institut)" de la réalisatrice Tonie Marshall, avec entre autres les actrices Audrey Tautou, Mathilde Seigner et Nathalie Baye, a remporté plusieurs César en 2000.
Avant-propos
La prochaine cérémonie des César aura lieu le vendredi 12 mars et il s'agira de la 46ème représentation... La première cérémonie des César du cinéma - dite aussi Nuit des César - s'était déroulée le 3 avril 1976 au Palais des congrès de Paris, avec Jean Gabin comme Président.
Loin de moi l'idée de rentrer dans un débat de parité homme/femme, ou de causes féministes dans l'air du temps en ce moment, mais j'aime bien citer cette phrase qui sert de ligne éditoriale d'un quotidien de presse "Les commentaires sont libres, les faits sont sacrés", qui en fait a été écrite par Charles Prestwich Scott (1846-1932), journaliste britannique, fondateur du Manchester Guardian, formule énoncée en 1929, et qui disait plutôt :
"Les opinions sont libres, les faits sont sacrés." Charles Prestwich Scott
Et si les faits sont en effet têtus (ou sacrés au choix...), force est de constater qu'une réflexion mérite néanmoins d'être posée. En faisant un état des lieux des récompenses des César d'une année sur l'autre, je voulais préciser en préambule de cette critique, qui peut être aussi une forme d'hommage à Tonie Marshall, actrice-réalisatrice (1951-2020), qu'elle reste encore à ce jour l'unique femme cinéaste à avoir remporté le César de la meilleure réalisatrice (2000) pour "Vénus Beauté (Institut)", il y a maintenant 21 ans ! Il fallait le noter.
Tonie Marshall, actrice et réalisatrice de "Vénus Beauté (Institut)"
Fille de Micheline Presle et William Marshall, Tonie Marshall a été chorégraphe avant de se lancer dans le cinéma. Très tôt dès son plus jeune âge, sa célèbre maman lui montre des films et lui transmet cette passion des films, d'autant plus facilement, qu'elle grandit à côté du cinéma d'art et d'essai le Studio des Ursulines, à Paris.
Tonie Marshall, réalisatrice Débutante comme comédienne sous la direction de Jacques Demy en 1972, elle rejoint la troupe de Théâtre Populaire de Reims de Robert Hossein (à qui elle offrira le rôle du "monsieur aviateur" dans "Vénus Beauté").
On peut dire qu'entre sa mère, son père et ses premiers metteurs en scène, elle était née sous les bonnes étoiles du cinéma. Passant à la réalisation en 1990, "Vénus Beauté" est tout juste son 4ème film, et elle reçoit 4 César dont celui de Meilleur film en 2000, devant les deux favoris, "Jeanne d'Arc" de Luc Besson et "La fille sur le pont" de Patrice Leconte.
Au delà de son talent de réalisatrice, Tonie Marshall est aussi une femme engagée, et elle rejoint le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes, en portant symboliquement un ruban blanc lors de la cérémonie des César.
Elle s'éteint le 12 mars 2020, et laisse derrière elle une filmographie de 43 films ou sa sensibilité et son anticonformisme allait de pair.
De "Vénus Beauté" à son dernier film "Numéro une", avec Emmanuelle Devos, Tonie Marshall nous parle des femmes, du monde des femmes, du langage des femmes, du corps des femmes, de leur demande d'amour, et à ce titre "Vénus Beauté" rassemble avec justesse et humour tout cela avec brio. Le film ayant été encensé par la presse et le public et justement récompensé.
Ce film est classé en comédie dramatique, mais j'aime bien la citation du Nouvel Observateur à l'époque qui note "Une jolie variation sur le noir et le rose bonbon." Rose bonbon ! Comme les blouses de nos trois jolies esthéticiennes, et noir comme les romances et les âmes contrariées montrées dans le film.
Le pitch du film "Vénus Beauté (Institut)"
Patronne d'un institut de beauté d'un quartier parisien, Nadine, jouée par Bulle Ogier, régente trois esthéticiennes : Samantha (Mathilde Seigner), Marie (Audrey Tautou) et Angèle (Nathalie Baye). Cette dernière, la quarantaine, est la plus âgée et ne croit plus guère à l'amour, ce qui ne l'empêche pas de draguer les hommes pour une nuit. Un matin, dans une gare, elle croise Antoine qui tombe tout de suite amoureux fou d'elle alors qu'il a déjà une jeune fiancée. Il veut la revoir, mais Angèle n'a pas confiance...
Les personnages... Mais pas qu'eux !
Tonie Marshall dans ce film nous décrit une panoplie de personnages tout à la fois drôles mais aussi émouvants et qui laissent apparaître leurs failles, leurs fêlures et leur incertitudes.
Ce qui fait la force du film est avant tout son interprétation, dont Angèle, jouée merveilleusement bien par Nathalie Baye, en est la principale représentation, mais les autres actrices et acteurs ne sont pas en reste. Pour Angèle, la vie l'a cabossé, les hommes l'ont déçu, mais elle veut croire à l'amour encore, et encore, multipliant les rencontres, néanmoins elle essaie de garder toujours une bonne dose d'humour derrière son désarroi.
Cet humour omniprésent dans le film, désamorçant parfois les situations désespérées, est aussi une des raisons pour lesquelles le film a autant plu au public, avec plus de 1,5 millions d'entrées, mais également à la profession avec 4 César glanés en 2000 : César de la meilleure réalisatrice, César du meilleur film, César du meilleur second rôle pour Audrey Tautou et César du meilleur scénario original.
Chaque personne a son histoire dans le film, Tonie Marshall les fait subtilement joués en interagissant sur leur personnalité, elle se sert de leurs cicatrices du passé pour les rendre émouvants et justifie leurs attitudes et leurs attentes dans leurs comportements. Toute la réussite du film tient à cette justesse et à cette sensibilité dont fait preuve la réalisatrice pour faire évoluer l'histoire, et ses personnages.
En fait ce film est très humain, et je dirais bienveillant. Il n'y pas de mal ou de bien, seulement des humains qui essaient de vivre au mieux leur existence.
Je ne résiste pas à vous présenter quelques uns des personnages les plus caractéristiques du film :
Nathalie Baye : Angèle Piana l'amoureuse éperdue
Bulle Ogier : Mme Nadine, la patronne autoritaire
Samuel Le Bihan : Antoine Dumont l'amoureux perdu
Jacques Bonnaffé : Jacques...
Mathilde Seigner : Samantha la rebelle
Audrey Tautou : Marie l’ingénue
Robert Hossein : L'aviateur vieux beau
Marie Rivière : La cliente aux bottines fourrées
Edith Scob : La cliente aux taches sur les mains qui critiquent tout le monde
Hélène Fillières : La belle fiancée d'Antoine et accessoirement la future Sandra Paoli de Mafiosa
Claire Nebout : La cliente impudique aux jolies courbes
Micheline Presle : Tante Maryse
Claire Denis : La cliente asthmatique
Liliane Rovère : La cliente épilation
Gilbert Melki : L'amant de la gare
Frédéric Andréi : Le client "finitions"
Catherine Hosmalin : La cliente au fond de teint
Joël Brisse : L'ami de Poitiers
Martine Audrain : La voisine d'Angèle
Laurence Mercier : Mme Schmidt.
Et tout ce petit monde cohabite joyeusement, chacun son chemin, chacun sa route, comme dirait la chanson et Tonie Marshall nous gratifie dans l'écriture de ses personnages, d'un microcosme de notre société. Cette comédie de mœurs développe ainsi différents aspects de la féminité de la fin des années 1990.
Les trois actrices de Venus Beauté, trois grâces...
Marie, petite jeune fille tout juste sortie de l’enfance, qui s’émerveille d’un tout et d'un rien, et qui est donc prête à s’emballer pour n’importe quoi ou n’importe qui. Ce rôle est le premier à l’écran d’une actrice promise à une grande notoriété : Audrey Tautou, la future Amélie Poulain, du film de Jean-Pierre Jeunet. Audrey Tautou joue véritablement ici son propre rôle, un rôle ambigu de petite enfant naïve et ingénue qui se fait embobiner par un vieux beau, pauvre Robert Hossein, qui la fait fondre à la fois par son attitude de veuf inconsolable, et par les écharpes en vison et les colliers de perles qu’il lui offre. Les autres filles et le spectateur mâle que je suis trouvent cela frustrant mais force est de constater que la petite semble comblée... Y compris sexuellement, en tout cas c'est ce que l'on ressent à l'image.
Samantha, jouée par Mathilde Seigner. Des trois employées, c’est la moins difficile à sonder. Elle doit avoir une trentaine d’années, et prend la vie, et surtout les hommes, comme elle vient : un simple coup d’œil, une pulsion et voilà sa soirée d’occupée. C’est un personnage qui sait ce qu’il veut et qui dit ce qu’il pense, qui fait un bon contrepoint aux autres pour compléter le quatuor. Elle marque le début également d'une carrière, où on retrouvera souvent le caractère rebelle et emportée de Mathilde Seigner, fière et sans compromis.
Enfin je dirais le joli rôle et principal, Angèle, c'est le personnage le plus complexe, le plus intéressant, le plus énigmatique et certainement le plus attachant. Angèle doit avoir la quarantaine, elle est célibataire, séparée de son ex-compagnon Jacques et qui emballe les hommes qu’elle rencontre de manière assez expéditive et vulgaire. Sa vie est en fait assez pathétique et très malheureuse. Elle ne croit plus à l'amour et finit par s’en convaincre à tel point qu’elle ne traite que par le mépris les avances de ceux qui lui portent une vraie affection et donne du crédit à des amants de passage. Malgré ses fêlures et ses incertitudes, elle reste droite et avance, c'est la force du personnage.Complexe et émouvant, il est porté à l’écran par une immense actrice française : Nathalie Baye.
La richesse et la palette des nombreux rôles secondaires, présentés en partie au dessus, composent un large spectre de notre société et contribuent également au bon déroulement du film.
"Vénus Beauté (Institut)" : Un bon scénario... Mais pas que !
On ne le sait peut être pas, mais un bon film, c'est une bonne histoire, comme dirait Martin Scorsese, et un bon scénario.
Pour décrire cette symphonie de sentiments, de petites et de grosses misères, de confidences échangées entre un massage facial, une séance d’UV ou d'épilation, tout sans aucune fausse note, il fallait d'abord une belle écriture. Pour réaliser un si joli film, au réalisme poignant faite par une femme sur des femmes et qui nous fait pénétrer au plus profond de leurs états d’âme comme peu de films peuvent le faire, il fallait aussi une voire plusieurs sensibilités... Et à l'instar du duo Agnès Jaoui - Jean-Pierre Bacri (voir la critique précédente du film "Kennedy et moi"), si c'est Tonie Marshall qui s’est collée au scénario , il a été co-écrit... Et surtout par des pointures (Marion Vernoux et Jacques Audiard).
Quand la sensibilité rencontre l'écriture, cela fait une belle réussite, et des récompenses méritées.
Enfin des lauriers... Mais pas que !
Des rubans blancs aussi !
Car des lauriers, il y a en a eu ! Le film "Vénus Beauté (Institut)" n’avait eu qu’un succès d’estime à sa sortie et n’a guère dépassé les milieux cinéphiles, mais l’œuvre a été nominée pour les César de l’année 2000 et… finalement vu par plus de 1,5 millions de spectateurs. On appelle cela un joli succès public.
Les récompenses ont été nombreuses, elles ont été citées, meilleur film, meilleur réalisatrice pour Tonie Marshall, meilleur scénario original et adaptation pour Tonie Marshall, meilleur jeune espoir féminin pour Audrey Tautou, ainsi que des nominations pour Nathalie Baye (qui aurait mérité une statuette), Mathilde Seigner et Bulle Ogier.
Quand la sensibilité, la bienveillance et la féminité, elles dominent l'ignorance, la violence et le machisme, c'est un grand pas vers l'humanité et le bien vivre ensemble qui peut être espéré.
Et Tonie Marshall, déjà en femme engagée à l'époque, en arborant le ruban blanc des violences conjugales faites aux femmes en 2000, ne pouvait pas rendre un plus bel hommage, en cette journée internationale des droits de la femme, ce 8 mars 2021...