- Auteur Joseph Lustro
- Temps de lecture 5 min
Projection sur grand écran : (Sic Transit) Gloria Mundi de Robert Guédiguian
Pour son dernier film sorti en 2019, Robert Guédiguian signe un mélodrame familial aux airs de Ken Loach, autour de trois générations que l’ultralibéralisme enfonce peu à peu. La ville de Marseille, valorisée par de très belles images, sert de décor à une fiction qui se voit largement rattrapée par les problématiques sociétales de ces dernières années.
(Sic Transit) Gloria Mundi, film du réalisateur Robert Guédiguian sorti en 2019, est un portrait de la ville de Marseille en forme d'alerte sur l'état du monde.
Gloria Mundi : Prélude de Verdi
Ce film commence comme une grâce, avec la naissance d'un bébé, Gloria, sur le requiem de Verdi, et c'est tout simplement beau et bouleversant. Une lumière sur le début de vie, le bébé lavé, nettoyé, baptisé, où tout est encore possible, peut être un message d'espoir que Robert Guédiguian a voulu donner à sa dernière œuvre tant le message de son film est pessimiste et sombre.
On retrouve 20 ans après, les acteurs qui nous ont tant ému dans "Marius et Jeannette", il y avait la bande à Claude Sautet, il y a maintenant la bande à Robert ! Ariane Ascaride, Sylvie, qui fait des ménages dans des paquebots et qui lutte pour garder son travail, George Meylan, Daniel, son ex-mari qui sort de prison après une longue peine et qui vient à la rencontre de sa petite fille Gloria, et Jean Pierre Daroussin, Richard, avec qui Sylvie a refait sa vie, conducteur de bus et qui a élevé la fille de Daniel. Autour d'eux leurs enfants jouent admirablement bien, et vont vivre les problèmes du quotidien et familiaux.
Les acteurs principaux ont "bien vieillis", Ariane est sobre et juste dans son rôle de femme battante (Coupe Volpi de la meilleure interprète à la Mostra de Venise en 2019) et qui lutte pour préserver sa famille, George dans un rôle de sage, qui nous émerveille dans son jeu tout en finesse, émouvant quand il nous cite ses petits poèmes haïkus, Jean Pierre, quant à lui, touchant, respirant l'empathie et la compassion, ils portent en eux seuls le film, les scènes les réunissant sont merveilleuses de simplicité, de profondeur, et de tendresse, comme quand Daniel et Richard se retrouvent à pouponner Gloria et se confient mutuellement avec la vue sur le Port de Marseille. Les autres acteurs sont aussi excellents dans les seconds rôles et donnent au film toute sa force et sa profondeur.
Robert Guédiguian : Réalisateur d'un cinéma engagé
Dire que Robert Guédiguian est un cinéaste engagé est une gageure, et dans sa dernière œuvre, il continue à dénoncer les affres de notre société, le chômage, la précarité et la violence... Il y a un peu du Ken Loach dans sa vision de la société et la cellule familiale que nous décrit Robert Guédiguian n'est qu'un prétexte pour montrer le désarroi de chaque personnage face à la difficulté de la vie, oui ce film est noir mais tant inspiré, rien n'est superflu.
Chaque regard, chaque geste, chaque mouvement exprime un sentiment, à ce jeu là, les acteurs sont touchants de vérité, le cinéma de Robert Guédiguian nous parle au cœur.
Et puis il y a Marseille, sa ville que le réalisateur aime tant filmé... Ici il va dans les quartiers populaires, Belsunce, Palombieres, de jour et de nuit où Notre Dame de la Garde veille sur la ville... Magnifique plan nocturne vu du bâtiment où Sylvie exécute son travail.
Gloria Mundi, Crépuscule d'une société
Ce drame social, que nous dépeint le réalisateur dans Gloria Mundi résonne aujourd'hui au vu du contexte social et économique que nous vivons, c'est la fin d'une espérance, cela peut ressembler aussi au combat des gilets jaunes qui bataillent pour survivre et sortir de leurs conditions. C'est une société dure, où les plus faibles n'ont pas leurs places et ou les plus anciens sont résignés, après tant de luttes perdues. Les jeunes sont aussi désabusés, oscillant entre le cynisme et l'envie de vouloir marcher sur les autres pour réussir, le discours dans le magasin du patron joué par Grégoire Leprince-Ringuet est dur mais au combien réaliste.
Sic transit Gloria Mundi : "Ainsi passe la gloire du monde"
Cette expression latine était prononcée lors de l'intronisation d'un nouveau pape au sein de l’Église catholique, pour le rappeler à l'humilité et à sa mortalité. Il est amusant de voir que le passé marxiste du réalisateur, confronté aux changements du monde et à sa propre maturité, ne l'empêche nullement de se référer de plus en plus à l'héritage culturel catholique, et où il parsème son film de signes religieux... Le crucifix dans les chambres et un collier avec la vierge autour du cou de Sylvie.
Avec Gloria Mundi le réalisateur fait le constat amer d'une société où les plus pauvres et les plus démunis ont parfaitement intégré le discours capitaliste des nantis et des puissants. C'est un cri de désespoir et de rage.
Robert Guédiguian est un homme de foi, indépendant, artisan et humble travailleur dont le métier est de réaliser des films et il le fait superbement, pour nous alerter sur l'état du monde. Il croit en l'être humain, attentif à sa résilience comme son "héros" Daniel. Le monde a changé et le réalisateur et sa troupe ne le savent que trop bien. Cela ne les empêche pas de continuer à croire en un monde plus glorieux et plus solidaire. Dans ce sens, la dernière image du film est tout un symbole et chacun y retirera sa croyance "ainsi passe la gloire du monde".