- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 9 min
Si la Culture nous était comptée …
Si la culture nous est donnée … Si la culture nous était comptée ? … Dans cette période si particulière où la culture est asphyxiée, il nous est apparu important de partager notre sentiment que l’art est essentiel. La culture au rabais, attention danger.
« Le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité, c’est la culture. »
(Charles Baudelaire)
Qu’est-ce que la culture ?
Au niveau individuel, la culture est l’ensemble des connaissances acquises par un être humain, son instruction, son savoir.
L’essentiel, nous dit Roland Gori, psychanalyste, professeur émérite des Universités et écrivain, c’est le chemin que nous pouvons apporter au petit homme lorsque, à la naissance, il naît, dépourvu des appareils nécessaires à assurer tout seul sa survie. Il a besoin de l’homme et l’autre lui donne quelque chose qui s’appelle la culture.
La première conception humaniste du concept de culture fonde ses racines dans Platon et Aristote. Pour les philosophes grecs, la culture se compose de "paidéia", un terme qui se réfère explicitement à l'apprentissage des beaux-arts, tels que la poésie, la philosophie, la rhétorique. Par l'étude de ce dernier, l'homme acquiert des connaissances de lui-même et du monde, et en même temps, il est guidé dans la recherche de la vérité. La réalisation de l'individu n'est pas basée seulement sur la connaissance des arts, mais nécessite également une participation active à la vie de sa communauté.
Pour les classiques, la culture c'est une valeur, un objectif que l'individu doit atteindre : il ne reflète donc pas un état de fait, mais plutôt un idéal à conquérir, un état à réaliser, un projet, une tension vers quelque chose de mieux, placé plus haut. Cicéron, par exemple, parle d'une culture de l'âme, au sens d'une culture «Synonyme de croissance intérieure et de raffinement», qui produit un changement radical de nature à transformer la personne. A partir du XVIIe siècle, il y a un changement dans les sciences sociales : le terme culture subit une nouvelle fois l'élargissement de son sens, comprendre l'héritage universel des connaissances et des valeurs formées à travers l'histoire de l'humanité et qui, en tant que telle, est ouverte tous, constituant, comme un dépôt de mémoire collective, une source constante d'enrichissement de l'expérience. Vers le milieu du XVIIIe siècle, avec l'affirmation des Lumières, nait le concept de civilisation. Les Lumières décrivent l'évolution humaine en termes de progrès, où le plus haut échelon de l'échelle culturelle est occupé par la société.
Les caractéristiques fondamentales de la culture de cette période sont : sa valeur universelle, le potentiel de formation de l'individu et son caractère exceptionnel.
La culture ne peut donc plus être limitée à l'Europe "cultivée", il ne s'agit plus d'une question élitiste, mais s'étend à toutes les nations et les peuples de la Terre. Globalement la culture ne se réfère plus uniquement à un idéal de réalisation, de formation de l'individu, mais on en vient à la concevoir selon un aspect plus multiforme affectant l'ensemble de la société; la culture devient quelque chose que les individus acquièrent en tant que membres d'une société, socialement. La culture est donc une production collective qui a le devoir de fonder la cohésion et le consensus social.
Une culture partagée
On peut dire que les objets culturels sont produits par des êtres humains que nous définissons comme des créateurs. Ce peut être des gens ordinaires qui articulent et communiquent en premier une idée, les artistes qui façonnent une forme, les inventeurs d'un nouveau jeu ou nouveau jargon. Si un poète écrit un nouveau sonnet mais ne laisse personne le lire, si un mathématicien trouve un nouveau logarithme informatique mais le garde par devers soi, ce sont des objets culturels potentiels mais pas réels. Ce n'est que lorsque ces objets deviennent publics qu’ils font partie de la culture et deviennent des objets culturels.
Les théories sociologiques modernes se concentrent sur le lien qui lie le monde social à la signification culturelle même si elles n'ont pas toujours suffisamment pris en considération le rôle d'un troisième facteur, à savoir l'intervention de l'homme, sa participation active au changement, le rôle de sélecteur du contenu de la culture en période de fort changement de paradigme.
« La culture n’est rien d’autre que le nous extensible à l’infini des humains et c’est cela qui aujourd’hui se trouve en danger et requiert notre mobilisation. » Jack Ralite
En tout premier lieu, l’accès aux soins pour tous, à l’emploi pour tous, au logement pour tous, à la culture pour tous sont cruciaux et indissociables d’une société égalitaire. Il est nécessaire d’avoir une vision en perspective qui aide au développement du pays à partir des arts et de la culture pour créer le bien-être, l'emploi et la cohésion sociale. Il faut un plan stratégique pour la gestion du patrimoine culturel et l'entretien des biens matériels. Sont indispensables, notamment, l’accès à la promotion et l'accessibilité aux ressources culturelles matérielles, immatérielles et numériques. Il est également nécessaire de garantir l'ouverture d’enjeux culturels dans les communes, même les plus petites.
La culture au rabais
« Tout ce qui travaille au développement pour le développement culturel travaille aussi contre la guerre et contre les périls » (Freud)
Par le biais des médias, de la télévision surtout, se produit une ‘uniformisation’ de la pensée. Par le biais d’un néolibéralisme à outrance, on privilégie la culture de fastfood, d’émissions de télé-réalité, de séries américaines etc. Les étudiants sont de moins en moins attirés par les filières littéraires : économie oblige. Un nouveau langage très insidieux a fait son apparition et nous est imposé : on ‘manage’, on ‘gère’. Entre la disparition de certains termes, l’évolution d’autres, la substitution d’un mot par un autre, c’est à une absence totale de pensée des politiques de l’art et de la culture, au profit de la mise en œuvre de logiques managériales, que nous assistons. Une contamination du langage où les mots changent de sens et d’autres surgissent, subrepticement, pour se substituer aux précédents. Michel Simonot le nomme : un « retournement de la langue ».
« Répétons-le encore et encore : la culture et la politique sont indissociables, dès lors que l’on admet que tous les hommes sont philosophes et que c’est dans et par un travail philosophique de déconstruction, de décomposition et de détournement des séquences de leur philosophie implicite qu’ils peuvent s’émanciper politiquement, c’est-à-dire collectivement autant que singulièrement. L’invention de l’Education populaire ne répond-elle pas à cette exigence d’une « éducation à la pensée et à l’expression critique et politique », à la nécessité de devoir reconnaitre que culture et politique sont consubstantielles et qu’il ne saurait y avoir d’émancipation politique sans émancipation culturelle. » (Roland Gori, 2012, « Les industries de la culture ont-elles prospéré sur l’échec de l’éducation populaire ? » In : Cassandre/horschamp (coord. par), Éducation populaire une utopie d’avenir, Paris : Les Liens qui Libèrent et Cassandre/horschamp)
Attention danger
Attention, ce sont nos enfants qui sont en danger. C’est la culture qui donne le sens à une société, qui donne le sens à une action publique, le sens à ce que doit être la société grâce à l’émancipation humaine, la préservation de la planète et de la nature, le développement des capacités humaines, des capacités d’appropriation, la volonté de travailler la question des imaginaires, de construire un imaginaire d’un être émancipé de toutes les dominations.
La culture est une sorte d’élévation
Alain Hayot, invité à l’une des universités populaires du Théâtre Toursky, faisait de la culture l’analyse suivante: "Vilar faisait du théâtre ‘populaire’. Dans l’esprit de Vilar, le ‘populaire’, c’était au contraire un théâtre exigeant qui se pose comme objectif central de pouvoir être partagé par tous et approprié par tous. Le divertissement à outrance, que l’on peut appeler l’ordre du divertissement (médias etc.) déconnecte la culture de toute pensée critique, et peut fabriquer une forme d’aliénation des classes populaires autour de ce que fabriquent les médias en évolution. Pour les courants intellectuels et politiques progressistes, héritiers de la philosophie des Lumières, l'obscurantisme est une attitude d'opposition à la diffusion du savoir, dans n'importe quel domaine. L’obscurantisme avait pour objectif de fabriquer une aliénation des classes populaires et des classes moyennes vis-à-vis de la création, de l’élévation, de la volonté de construire un imaginaire qui permettent aux femmes et aux hommes de ce monde de maîtriser leur capacité à transformer le réel.
Aujourd’hui, 60 après la création du Ministère de la Culture, il faut le refonder au moins sur trois choses : la question de la création liée à notre capacité d’inventer, d’imaginer et qui est en grand danger dans ce pays. Car on n’inventera pas, on n’imaginera pas une autre société sans les artistes. Il faut redonner du souffle à la création dans ce pays. Deuxième axe, l’éducation populaire Il faut recréer un lien fort entre la création et l’éducation populaire, c’est ce que voulaient faire nos aînés au sortir du conseil de la Résistance et qu’ils n’ont pas pu faire. Il faut retravailler cette dimension nécessaire de l’éducation populaire dans la cité, dans l’école et dans l’entreprise où elle a disparu quasi totalement. Et troisièmement il faut construire une mondialité culturelle qui nous mette en situation, non pas d’assigner ‘identitairement’ les gens, mais au contraire d’organiser le métissage, la rencontre, le lien où chacun apporte à la fois sa richesse et s’enrichit de l’autre. "
Confinement et Déconfinement
Nous tous avons vécu et vivons encore une période extrêmement difficile. Dans notre zone classée ‘verte’, la réouverture des lieux publics s’organise. Il est essentiel de rappeler les priorités. Les citoyens que nous sommes ont besoin d’oxygène.
-Fi des fastfoods
-Fi des grandes surfaces. Privilégions les petits commerces qui ont aidé la population à ‘tenir’.
Quand on ouvre les lieux de culte, quand on ouvre certains parcs de loisirs, ne serait-il pas également judicieux d’ouvrir les théâtres ? Sont-ils moins nécessaires à la vie publique ? A la Culture ? Privés de moyens, privés de public, les théâtres et les acteurs risquent l’asphyxie.
Pourquoi ? La question est posée.